Gérard Larcher : « La population arménienne n’acceptera pas les diktats du plus fort »

De retour d’un voyage en Arménie, le Président du Sénat lance un appel pour la libération des prisonniers, la reprise des négociations et la reconnaissance internationale de la République d’Artsakh. Interview sans langue de bois.
Vous rentrez d’un voyage en Arménie durant lequel vous avez eu des discussions avec les plus hautes instances du pays. Que retenez-vous de ce voyage ? A-t-il d’une façon ou d’une autre changé la vision que vous aviez de la situation dans la région ? Et si oui, en quoi ?
On ne rentre pas tout à fait le même d’un pays qui sort à peine d’une guerre, et dont la jeunesse en particulier porte durablement les séquelles des combats. En France, les mots sont parfois galvaudés. Pas en Arménie. Être en état de guerre, cela a du sens pour ceux qui l’ont faite ou l’ont vécue.
J’ai été saisi d’émotion lors de la commémoration le 24 avril du Génocide arménien, au Mémorial à Erevan. Comme j’ai eu l’occasion de le déclarer alors à la presse : « On pénètre dans ce Mémorial ému, en connaissant les faits. Et pourtant, on en sort différent. Je ne suis ni arménien, ni d’origine arménienne. Mais en cet instant, mon coeur est arménien ».
J’ai aussi été impressionné par la bravoure et la détermination de la population arménienne : elle ne plie pas dans l’adversité. Parce qu’elle perçoit comme existentielle la menace que l’Azerbaïdjan et la Turquie continuent de faire peser sur elle. Et que la paix doit aussi se gagner. Pour cette raison, toutes les parties, en particulier l’Azerbaïdjan et la Turquie, doivent prendre conscience que la population arménienne n’acceptera pas les diktats du plus fort, et que l’abandon du recours à la force, le respect des règles internationales, la négociation, sont seuls à même d’apporter la paix, pour peu que les droits de toutes les populations arméniennes soient garantis. C’est l’appel que je lance. Je rentre d’Arménie raffermi dans mon analyse et mes convictions.
Vous vous êtes très fortement engagé pour la reconnaissance de la République du Haut-Karabagh par la France. Ceci reste-t-il toujours un objectif ? Et si oui, comment concrètement pouvez-vous continuer à faire avancer cette question ?
Le Sénat n’a pas l’habitude de s’engager à la légère, ou sous le coup de l’émotion ! La reconnaissance de la République du Haut-Karabagh et l’obtention d’un statut demeurent un objectif. Parce que les Sénateurs ont estimé qu’il ne pourra y avoir de paix durable et de sécurité pour les populations arméniennes sans cette reconnaissance. Et que faire marche arrière constituerait pour l’Arménie une menace.
Nous utilisons tous les moyens à notre disposition pour faire progresser cette conviction et cet objectif. J’ai écrit au Président de la République pour demander que la France reprenne l’initiative, d’un point de vue diplomatique, au sein de la coprésidence du Groupe de Minsk, en insistant sur la question du statut du Haut-Karabagh. Je vais à nouveau solliciter des Présidents d’assemblées, en particulier le Président du Parlement européen, M. David Sassoli. Le Parlement européen prévoit d’adopter une résolution demandant aux instances européennes d’exiger de l’Azerbaïdjan le retour de tous les prisonniers de guerre arméniens dans leur pays. C’est un premier pas qui répond à une exigence de droit et d’humanité. Il faut aller plus loin. Vous savez, en adoptant la posture de l’agresseur, l’Azerbaïdjan et la Turquie ne servent pas leurs intérêts. Il nous appartient de les en persuader.
Votre voyage en Arménie avec tous les présidents de groupes et vos prises de position sur le Karabagh ont-elles fait l’objet de discussions avec le Quai d’Orsay ?
Naturellement. En tant que Gaulliste, je suis extrêmement respectueux de la constitution de la Ve République qui confie la conduite de la politique étrangère au Président de la République et à l’exécutif.
Mais il revient aussi à une assemblée parlementaire de faire entendre sa voix, de poser des jalons, d’aiguillonner l’exécutif lors que les parlementaires estiment que les décisions sont trop marquées au sceau de la « neutralité » ou ne vont pas assez loin. C’est ce qui s’est produit concernant l’Arménie et le peuple arménien. Avec le vote d’une résolution du Sénat à une majorité jamais atteinte pour un texte de cette nature (l’unanimité moins une voix). C’est là toute la portée et la force de la résolution du Sénat.
Diriez-vous qu’il existe une diplomatie du Sénat ? Comment peut-elle s’exercer ?
Ce n’est pas une diplomatie parallèle ! Le Sénat est ouvert au dialogue avec tous, mais il affirme aussi des positions qui sont fortes. Sa vocation, à nouveau, est de tracer des perspectives, d’anticiper, de presser parfois le Gouvernement, jamais de se substituer à lui sur le terrain diplomatique. Le Sénat conjugue la diplomatie de la parole – croyez-moi, cela compte – et des actes. Il est dans son rôle pour nouer des relations entre parlements et ainsi faire bouger les lignes.
Le 24 avril dernier, Joe Biden a reconnu officiellement le génocide des Arméniens. Qu’est-ce que cette déclaration vous semble pouvoir changer en Turquie ? Et plus généralement dans le Caucase ?
La reconnaissance par le Président des États-Unis du génocide arménien est une étape très importante. Une fois de plus, aux États-Unis comme en France, c’est le Parlement qui a ouvert la voie. Je rappelle que la Chambre des Représentants à majorité démocrate, puis le Sénat américain à majorité républicaine, ont adopté respectivement en octobre et décembre 2019 une résolution reconnaissant le génocide arménien, mais que le Président Trump a toujours refusé d’employer le terme de génocide. La réalité l’a aujourd’hui emporté aux États-Unis, comme en France, où le Président Chirac a promulgué la loi de reconnaissance du génocide arménien il y a vingt ans : c’était le 29 janvier 2001.
Quelles seront les implications diplomatiques de la reconnaissance du génocide arménien par l’Administration américaine ? C’est là toute la question. La reconnaissance s’accompagnera-t-elle d’une fermeté accrue des États-Unis à l’égard de la Turquie ? La diplomatie américaine opèrera-telle un retour au sein de la coprésidence du Groupe de Minsk où elle s’est tenue en retrait pendant les mois si difficiles pour l’Arménie Je le souhaite. J’estime que le gouvernement français devrait s’efforcer de convaincre ses partenaires américains de se réengager dans le Caucase, pour aider au cheminement vers la paix. La France a tout son rôle à jouer, avec la Russie et les États-Unis.
>> Lire l’interview sur Armenews.com
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Source: Actualités LR

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