Eric Woerth : « Je ne suis pas opposé à une réduction de dette des entreprises »

Pour le président de la commission des finances, réformer est une conviction. Ses fonctions, exercées dans plusieurs gouvernements, ont aiguisé son appétit en la matière. Eric Woerth livre, dans cet entretien exclusif, ses convictions, notamment celles visant à sauver le système des retraites par répartition. Sur un plan plus politique, il souhaite ardemment une candidature des Républicains à la prochaine présidentielle espérant que le galop d’essai des régionales fera émerger une candidature naturelle.
Que pensez-vous de la proposition du ministre de l’Economie d’annuler une partie de la dette des entreprises ?
J’ai pointé du doigt il y a plus d’un an le fait que les entreprises risquaient de se trouver face à un mur de dette. A l’époque, j’avais d’ailleurs proposé, dans un document plus global avec des mesures de relance, de réfléchir à la transformation de cette dette en fonds propres ou quasi-fonds propres. Il faut privilégier cette voie. L’occasion est unique. Le gouvernement a été à ce stade assez timide sur ce sujet, en dehors de la proposition de prêts participatifs, qui ne sont pas considérés comme de la dette. Il est difficile de dire que la dette publique doit être remboursée mais pas une partie de la dette privée. Dans ses dernières propositions, le ministre vise certainement les Codefi, organismes départementaux qui permettent la restructuration de dette privée et qui ont été peu utilisés durant la crise. Les prêteurs ont, il est vrai, desserré la pression, par exemple l’Urssaf dans le cas des reports d’échéances. Il faut desserrer le licol de la dette qui risque d’étrangler les entreprises en sortie de crise.
Votre projet revient-il à ce que l’Etat devienne ­coactionnaire des entreprises ?
Oui, je ne l’aurais pas proposé avant la crise, mais en tant qu’actionnaire dormant… Les régions pourraient aussi intervenir, tout comme le réseau Bpi, qui connaît bien le tissu économique régional, en participant à transformer de la dette en quasi-fonds propres. Je ne suis donc pas opposé sur le principe d’une réduction de dette, mais attention au « cas par cas » qui crée un risque d’aléa moral. Certains acteurs pourraient, en effet, anticiper qu’une dette puisse ne pas être remboursée dans l’avenir, ce qui modifierait leur comportement.
Comment gérer cet aléa ?
Avec des règles très précises. Avant de s’occuper des dettes bancaires, l’Etat devrait d’abord s’intéresser aux dettes fiscales et sociales non honorées et repoussées. Le vrai gagnant du prêt garanti par l’Etat (PGE), à part le tissu économique, c’est bien l’Etat. Le taux de rémunération de l’Etat est bien supérieur au coût de ses ressources. Il serait d’ailleurs intéressant de connaître le chiffrage du gain pour l’Etat. Il pourrait également élargir sa garantie permettant ainsi aux banques d’allonger la durée des PGE. Il faut aussi se pencher sur un autre sujet : celui de l’appel aux cautions sur les biens personnels des chefs d’entreprise. Certains sont en grand danger.
Concernant les finances publiques, est-il nécessaire et envisageable de ramener le déficit public au-dessous des 3 % d’ici à 2027 ?
J’espère que cet objectif sera atteint dans six ans… Les prévisions retiennent ce niveau même si elles sont toujours un peu optimistes, en particulier sur le rythme de croissance économique. Il faut être acteur de nos finances publiques et pas uniquement observateur. Cela passe par les aides d’urgence et de relance en 2021 et en 2022, mais surtout par la maîtrise de la dépense publique. Ce n’est pas de l’austérité mais tout simplement la volonté de prendre en compte l’avenir des générations futures.
Vous souhaitez justement faire une proposition de loi organique avec Laurent Saint-Martin. Pouvez-vous expliquer de quoi il s’agit ?
C’est une idée née avant la crise sanitaire. La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) – la Constitution financière –, votée il y a vingt ans et appliquée depuis 2006, nécessitait d’être toilettée. Nous sommes en discussion avec Bercy et je pense que nous devrions arriver à un accord sur la base de nos propositions. Nous allons déposer une proposition de loi organique dans les prochains jours et espérons que le texte puisse être inscrit à l’ordre du jour du Parlement d’ici à l’été. C’est un outil financier : si nous ne mettons pas en place de bons outils, nous ne pourrons pas être de bons artisans s’il en était besoin pour provoquer les bons débats et les bonnes décisions et redresser les finances de la France. La crise a montré l’importance de faire la distinction entre bonne et mauvaise dette. Nous proposons ainsi, par exemple, dans ce texte de faire la distinction de façon très détaillée, pour chaque mission et pour chaque programme entre les dépenses d’investissement et les dépenses de fonctionnement. Cela permettra d’orienter le débat budgétaire d’après-crise et de façon pluriannuelle. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Inévitablement la crise passée, l’Etat cherchera des économies. La fraude aux aides sociales serait astronomique. Que proposez-vous ?
Lorsque j’étais ministre du Budget, j’avais pris beaucoup d’initiatives en matière de lutte contre la fraude fiscale et sociale. Il faut continuer à agir très fermement sur ces sujets. Un Etat qui verse beaucoup de prestations sociales et qui lève beaucoup d’impôts est toujours plus exposé. Le fisc se dote d’ailleurs de nouveaux outils de recherche d’information en collectant des données sur les réseaux sociaux. C’est vrai aussi pour les cartes Vitale. Mais, il ne faut pas compter uniquement sur cet axe pour réduire drastiquement nos dépenses. Je ne crois pas aux chiffres astronomiques souvent évoqués. Il est très pratique dans les programmes électoraux de chiffrer des économies obtenues par un renforcement de la lutte contre la fraude pour financer n’importe quelle dépense publique. Ne nous y trompons pas, ce sont bien des réformes profondes qui permettront de redresser nos finances publiques.
Quelles réformes faut-il lancer ?
La France restera toujours un pays dans lequel les dépenses sociales sont plus élevées qu’ailleurs et doté de services publics plus développés. Tant mieux, mais pas quoi qu’il en coûte. Le prix du service public est l’impôt. Ce prix est élevé. Le système de retraite est la première des dépenses publiques. J’ai été un acteur il y a plus de dix ans de sa réforme. Elle doit être poursuivie. Ce dont des montants équivalant aux PGE ou au niveau de dette levée pendant la crise. Le modèle par répartition doit être protégé, mais il doit évoluer. Il faut changer certains paramètres. Opposer réforme systémique et réforme paramétrique ne relève que des discours d’estrade. Les retraités, eux, attendent de connaître les règles concrètes !
Etes-vous favorable à adopter, malgré tout, la réforme Macron ?
Non, parce qu’elle est incompréhensible et inexplicable. Le système par point est louable, nous l’avions d’ailleurs inscrit dans la réforme de 2010, l’aspect totalement universel est plus compliqué. Passer de 33 régimes à trois, fonctionnaires, libéraux et salariés, aurait été possible avec une modification de paramètres, comme l’augmentation de l’âge de départ à la retraite à 65 ans. Le gouvernement ne voulait pas parler de l’âge, puis il a voulu imposer un « âge pivot » … Pas un Français ne pouvait savoir ce qu’il en serait pour son cas personnel. Il y a eu trop de mauvaises concertations et pas assez de bon consensus. Il y a donc un problème dans la méthode retenue. Il faut aller vite. Nous l’avons fait dans le passé. Il faut rétablir un contrat moral intergénérationnel.
Pourquoi est-il si difficile de réformer ?
La France se réforme pourtant lentement et sans méthode… La Covid-19 sera, je l’espère, une formidable opportunité de faire évoluer notre pays. Le problème est la discontinuité de l’Etat. L’Etat change tout le temps d’avis, alors qu’il faut de la continuité, de la suite dans les idées. Les idées nous les avons. Des centaines de rapports contiennent des propositions solides pour protéger notre modèle social, pour mieux garantir l’accès aux services publics et permettre aux entreprises de gagner en compétitivité. L’incapacité à réformer crée des brèches dans lesquelles les partis extrêmes s’engouffrent. Les sondages se dégradent. L’arrivée de Madame Le Pen à la tête de l’Etat devient hélas possible. Le vote populiste est le rejet d’une classe politique qui a échoué. Je n’accepte pas cette fatalité.
Le problème est-il donc l’Etat ?
L’administration française est républicaine, compétente, mais elle a des tentations bureaucratiques et tatillonnes. On a tous essayé de la réformer et d’imposer des simplifications administratives. Il faut en fait la transformer culturellement et que chaque ministre soit le véritable patron de son administration, ce qui n’est pas souvent le cas.
Peut-on dresser un premier bilan de la gestion de la pandémie par le gouvernement ?
Je suis moins critique que certains de mes collègues. Je ne sais pas ce que nous aurions fait et l’histoire ne le dira pas… L’affaire des masques de protection a décrédibilisé le gouvernement, mais le corps médical n’était pas lui-même clair sur ce sujet. Le gouvernement a toutefois beaucoup communiqué pour expliquer qu’ils ne servaient à rien pour ensuite avouer que les stocks n’existaient pas. Cette erreur a été réitérée par la suite donnant le sentiment qu’on courait toujours derrière la pandémie. Il n’a pas été assez expliqué que l’apparition de variants créait à chaque fois une nouvelle pandémie. Ce fut aussi le cas dans les autres pays, mais leurs gouvernements ont adopté des mesures plus radicales. C’est criant avec le variant brésilien. Il est évident qu’il fallait stopper toute relation avec le Brésil, quitte à rapatrier nos ressortissants en imposant une quarantaine réelle, comme ce fut le cas avec les Français rapatriés de Wuhan au début de la crise. J’ai aussi regretté que le Parlement n’ait pas été assez associé aux prises de décision en amont. J’ai néanmoins partagé la décision du président de ne pas reconfiner totalement le pays, car les stigmates économiques sont trop lourds. L’histoire n’est pas terminée.
Vous souhaitez un candidat républicain pour la présidentielle ? Lequel ?
Il est un peu tôt pour parler de candidature. La droite n’a plus de chef depuis le départ de Nicolas Sarkozy. Un énorme travail sur le fond a été fait, notamment lors de la primaire de 2017, et jamais réitéré depuis. Mais nous n’avons, ensuite, pas su nous rassembler et les affaires – pas la primaire – nous ont fait perdre. On pourrait à nouveau en organiser une, Gérard Larcher y travaille, mais le mieux serait qu’émerge un candidat naturel. Ils sont nombreux. Xavier Bertrand semble mieux placé dans les sondages que d’autres candidats. Cependant, l’écart avec eux demeure faible. La candidature à la présidentielle est personnelle. Celle ou celui qui pense avoir les qualités, l’étoffe et la dimension pour être président de la République doit le prouver aux électeurs par la puissance de ses idées et son charisme. La sélection naturelle se fera peut-être lors des élections régionales. Plusieurs candidats possibles à la présidentielle sont en lice pour les régionales allant de Laurent Wauquiez à Xavier Bertrand, en passant par Valérie Pécresse mais d’autres également. Si personne n’émerge, il faudra alors choisir ou repenser la vie politique. Je suis très attentif aux idées, à l’expression claire et simple, sans simplisme de nos convictions. Il faut un projet, un faisceau de réformes, du sérieux et surtout beaucoup de courage.
Edouard Philippe peut-il être un recours ?
Edouard Philippe a fait un choix que je n’ai jamais critiqué. Comme beaucoup, j’ai voté Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle, mais je n’ai pas tiré à l’époque les mêmes conclusions. Cette période compliquée est derrière nous. Il jouera un rôle dans cette élection, car il n’a visiblement pas décidé de quitter la scène politique. Quel rôle ? Il faut lui demander, mais je ne pense pas qu’il sera déloyal à Emmanuel Macron. Comme ancien Premier ministre, il reste un potentiel fort pour l’avenir du pays.
Etes-vous favorable à un impôt de solidarité exceptionnel ?
Non, l’outil fiscal a été suremployé et attention, nous sommes les champions du monde de l’exceptionnel qui dure… Si d’autres pays ont des marges de manœuvre fiscales, ce n’est pas le cas de notre pays, où l’outil fiscal a été utilisé jusqu’à la corde. Réformer les politiques publiques n’est pas à la portée de tout le monde, contrairement à l’augmentation des impôts.
>> Lire l’interview sur Investir.LesEchos.fr
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Source: Actualités LR

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