François Mitterrand aimait les mots. Il a souvent dit qu’il aurait aimé être écrivain, si la politique n’avait pas été la passion de sa vie. Homme de culture, féru, avant tout de littérature, particulièrement les lettres françaises du XIXème et de la première moitié du XXème siècle, et d’histoire, éduqué dans le goût de l’éloquence, il a beaucoup parlé et écrit. Et le livre a fait partie étroitement de sa vie politique. Pensons à l’importance du « Ma part de vérité » en 1969 ou de ses Mémoires interrompus, en 1995, pour dessiner lui-même sa cohérence. La politique, il lui a montré son intérêt dès l’adolescence – la lecture de ses lettres à sa cousine Marie-Claire Sarrazin le montre suffisamment – et il s’y est plongé en plein cœur de la seconde guerre mondiale, après sa troisième tentative d’évasion réussie d’un camp de prisonnier en Allemagne, passant du milieu vichyssois à une résistance patriotique, défiante, cependant vis-à-vis du gaullisme. A partir de là, il a vécu presque toutes les situations dans une longue vie politique et connu trois générations d’hommes et de femmes politiques, évoluant lui-même du républicanisme au socialisme. Il a été, avant tout un formidable combattant, qui n’a cessé de mener des controverses et d’alimenter des polémiques avec ses adversaires mais tout autant avec ses « amis » politiques, avant de s’imposer, en toute dernière fin, dans le souvenir des français comme la figure d’un Président tutélaire, maitrisant, le plus possible, la souffrance de la maladie afin d’achever sa tâche dignement.

C’est dire toute la difficulté d’appréhender la personnalité de François Mitterrand. Tous ses biographes ont souligné cette complexité[1]. Laurent Fabius a parlé d’une « ambivalence » fondamentale. A un degré sans doute supérieur à d’autres, François Mitterrand, rappelle qu’on ne peut pas séparer la conduite publique du caractère des hommes. Le travail des historiens se concentre naturellement sur les faits, démêle ce qui relève d’évolutions profondes des appréciations conjoncturelles. Mais ils n’oublient pas ce que pèse le rôle des acteurs. Le philosophe Maurice Merleau-Ponty écrivait, de manière éclairante, que tout le cours de la Révolution Française amenait à ce qu’elle aboutisse à donner (au moins pour un temps) le pouvoir à un général, mais que ce général fut Napoléon Bonaparte, cela fut autre chose… C’est pour cela qu’un parcours – même non exhaustif et nécessairement accompli avec une part de subjectivité dans les déclarations, les écrits, les confidences (très nombreuses…) rapportées permet de composer un florilège d’une grande diversité qui, contribue à dessiner le portrait de l’homme et du dirigeant politique. Ces réflexions, jugements, traits d’esprit présentent aussi l’intérêt d’éclairer la nature de la politique.

Les citations réunies ici – sans l’avoir voulu initialement –peuvent-être ordonnées finalement selon trois dimension celles qui concernent, bien sûr, l’homme politique, l’homme de culture également, l’homme d’Etat enfin. Le même style se constate tout au long de cette longue vie et traduit un caractère formé très tôt. Evidemment chaque extrait, un mot, une phrase, un paragraphe sont datés. Car certaines réflexions devront être comprise dans leur contexte. La continuité d’un tempérament apparaitra néanmoins au lecteur.

Quelques points clefs de compréhension doivent être soulignés pour donner leur intérêt aux choix qui sont présentés dans les pages suivantes. Seule une trame sera évidemment rappelée. Né en 1916, François Mitterrand est l’ainé d’une famille de la bourgeoisie provinciale, installée à Jarnac, en Charente. Il marqua un fort attachement à sa famille, ses frères et sa sœur. Son éducation catholique a exercé une forte influence. On le mesure à plusieurs reprises dans son vocabulaire. Sa comparaison, souvent faite, du socialisme des années 1960 à une Eglise est significative. Non qu’il ait été pratiquant mais il a manifesté une forme de « religiosité chrétienne », plus affirmée avec le temps, pour reprendre une expression de Jean Lacouture. Sa passion pour la littérature, pour la lecture, l’écriture et la parole (il a reçu une coupe pour un concours d’éloquence à 16 ans !), date aussi de ses années. Mais, c’est une éducation très française, ses références littéraires sont essentiellement des auteurs du XIXème siècle, romanciers et poètes, et de l’entre-deux-guerres (sa délectation de Jacques Chardonne est connue). Egalement liée à cette période de l’adolescence est son sens de l’amitié, et ce goût d’être entouré d’un cercle choisi d’amis liés par la fidélité et l’admiration qu’on lui porte…

Mobilisé en 1940, fait prisonnier, découvrant la diversité humaine, au stalag, il affirme une forte personnalité. Ses tentatives d’évasion sont là pour le manifester. Il a été beaucoup écrit et débattu sur le passage de Vichy à la Résistance. C’est un peu pour lui qu’a été forgé la notion de « vichysto-résistants », à savoir des maréchalistes devenus résistants à part entière[2]… Il est inutile d’y revenir en détail dans cette présentation. Mais, ce qu’il faut souligner, c’est que c’est vraiment dans ces années que s’est forgée son ambition politique. Dans une lettre à sa cousine, il écrit après son arrivée à Vichy, en février 1942 : « quand je pense à mon destin…, ou je filerai vers des pays qui me donneront l’illusion de la découverte ou dans l’exercice et la volonté de puissance je trouverai le goût du risque ». Engagé dans la création d’un Mouvement National des Prisonniers de Guerre et Déportés, son passage à la Résistance le plonge dans les conflits politiques. Giraudiste un temps – assez logiquement compte tenu de ses attaches politiques avant guerre – il se lie avec Henri Frenay, chef du mouvement Combat et finit par trouver un contact (bien difficile) avec De Gaulle et arrive à obtenir la pleine responsabilité de son mouvement. Cette réussite lui permet d’être un des quinze secrétaires généraux des départements ministériels faisant fonction de gouvernement provisoire le 26 août 1944.

Dès lors, il se consacre entièrement à sa passion politique, avec ses succès et ses échecs, ses espoirs et ses déceptions. La guerre d’Algérie a été au centre des contradictions de la IVème République et a entraîné sa chute. Elle a été aussi un moment difficile pour François Mitterrand. Il reconnaitra plus tard qu’elle a été « sa seule faute ». Elle ne doit cependant pas occulter la trajectoire qui fut la sienne de 1946 à 1958, une évolution de la droite vers la gauche – l’inverse étant plus fréquent… Candidat battu à Paris sous les couleurs du Rassemblement des Gauches Républicaines, hostile, de fait, aux partis de gauche, le PC surtout mais aussi la SFIO, il trouve une circonscription dans la Nièvre (et pour de longues années), avec l’appui de la droite. Mais, une fois élu, il s’inscrit au groupe parlementaire de l’Union Démocratique et Socialiste de la Résistance, petit parti composite, à cheval entre la droite et la gauche, il y trouve une réelle liberté. C’est son expérience au Ministère de la France d’Outre-Mer, en 1950 et 1951, où il découvre l’Afrique, qui le fait évoluer. Il y affronte les conservatismes coloniaux, avec leurs relais en France, et ses positions libérales lui amène nombre d’ennemis, comme le montrera « l’affaire des fuites » quelques temps après. Cela le rapproche de Pierre Mendès France et du milieu de l’Express. Il est ministre de l’Intérieur, dans le gouvernement de 1954. Face aux débuts de la guerre d’Algérie, il adopte une position de fermeté, comme Pierre Mendès France. Mais, Garde des Sceaux du gouvernement de Guy Mollet, en 1956 et 1957, il gère des situations dramatiques. Il couvre les actes de l’armée et avalise la plupart des condamnations à mort prononcées de militants algériens et d’un militant communiste. Il ne suit pas Pierre Mendès-France et Alain Savary dans leurs démissions. Libéral, assurément approuvant l’évolution des territoires africains conduite dans la loi cadre Defferre, il n’est pas pour autant un décolonisateur. Les choix effectués alors compteront dans les relations difficiles qu’il aura, par la suite, avec la « nouvelle gauche ». Ils étaient, sans doute, aussi commandés par la perspective d’être appelé à la Présidence du Conseil après la démission de Guy Mollet. Mais ce fut Bourgès-Maunoury qui a été appelé…

Cela lui permet, en même temps, de ne pas avoir de responsabilités directes dans l’agonie de la IVème République. Le 13 mai 1958 est décisif dans sa vie politique. Sincèrement scandalisé, il rejoint Pierre Mendès France dans une opposition déterminée au nouveau régime. Moins critique, toutefois, que d’autres opposants sur les institutions proprement dites, car il a durement éprouvé la faiblesse du pouvoir exécutif sous la IVème République, il voit également la logique politique nouvelle qui est à l’œuvre et les possibilités qui s’ouvrent et qui pourraient rassembler la gauche. Mais, en 1958, c’est son isolement qu’il éprouve. Battu aux élections législatives de 1958, il voit son adhésion refusée au Parti Socialiste Autonome (PSA). Il doit refaire un « cursus honorum», en devenant maire de Château-Chinon, en 1959, contre un candidat SFIO, mais avec l’appui du Parti communistes, sénateur de la Nièvre, dans la foulée, encore avec des voix communistes. Il manque d’être englouti par le « vrai-faux » attentat des jardins de l’Observatoire, la même année, où il compte, alors, ses amis.

C’est vraiment par ses seuls talents qu’il parvient à rebondir, par la parole, où il retient l’attention par ses talents d’orateur et de polémiste, au Sénat puis, à nouveau, à l’Assemblée nationale, et par l’écrit. Le Coup d’Etat Permanent, en 1964, est, si l’on peut dire, un coup de maître qui le place comme un des principaux opposants au régime gaulliste qui est, alors dans toute sa force. Avec l’aide, notamment de Charles Hernu, et d’un cercle de fidèles, Georges Dayan, Louis Mermaz, Claude Estier, Roland Dumas, puis Pierre Joxe, etc, il réunit divers clubs pour créer une Convention des Institutions Républicaines, toute organisée autour de lui.

Il se tient à l’écart de la campagne de l’Express pour réunir la gauche non-communiste et le centre autour de la candidature de Gaston Defferre. Il n’y fait pas obstacle mais regrette qu’on rejette ainsi le Parti communiste. Quand vient l’échec de cette tentative, il saisit l’opportunité, illustrant ainsi la formule prêtée à Edgar Faure : « Il n’y a pas de politique sans risque, mais il n’y a pas non plus de politiques sans chance »… Il propose, en effet, sa candidature pour affronter le Général de Gaulle à l’élection présidentielle, que tous pensent jouer d’avancer au premier tour… Waldeck Rochet, le secrétaire général du Parti communiste l’accepte plus aisément que Guy Mollet et la SFIO. Mais, à la surprise de beaucoup, le candidat unique de la gauche contraint le Général de Gaulle à un second tour, et regroupe 45 % des voix. Dès lors, cette onction du suffrage universel fait de François Mitterrand le personnage clef de la gauche française.

Non que le chemin ait été simple pour autant… Il ne le paraît qu’au début. La création de la Fédération de la Gauche Démocrate et Socialiste, dont il est le président, les négociations avec les communistes, pour une plate-forme commune, la courte défaite aux élections législatives de 1967, la perspective de constituer un grand parti socialiste – autant de succès brusquement remis en cause par la vague imprévue de 1968. Les élections législatives de juin, puis l’élection présidentielle de 1969 donnent une large victoire à la droite pourtant menacée en 1967. Un jeune candidat apparaît à gauche, Michel Rocard, à la tête du PSU. Un Nouveau Parti Socialiste se constitue sans François Mitterrand derrière Alain Savary. Mais la stratégie de centre-gauche échoué, à nouveau, avec la déconfiture de Gaston Defferre (et de Pierre Mendès France), remettant ainsi au premier plan celle de François Mitterrand. Jean Lacouture, biographe, tout autant, du Général de Gaulle, rapporte que fin mai 1958, ce dernier félicité par le portier d’un restaurant, lui aurait glissé « Avouez que j’ai bien joué aussi ». François Mitterrand aurait pu le dire pareillement en ce mois de juin 1971, quand, grâce à une habile et inattendue coalition politique, il s’empare (« prend à l’abordage » disent ses adversaires) le Parti socialiste. Il se fait alors pleinement socialiste. En connaisseur de l’histoire, de l’Eglise catholique notamment, il sait la force de celui qui incarne l’orthodoxie, face à ce qui peut apparaître comme des hérésies. Il bâtit désormais son image autour de l’Union de la gauche et de ce qui est son symbole le programme commun de gouvernement. Croyait-il à sa lettre ? Le débat a été vif et continue aujourd’hui. Il se donnait parfois la coquetterie de dire qu’il ne l’avait pas lu ! Mais, on trouve dans les archives des textes des commissions de préparation annotés de sa main. Ambivalence encore. L’idée que l’Etat doit être fort pour maîtriser les puissances économiques est une idée qu’il portait depuis longtemps. De toute manière la stratégie prime. Déjà, aux élections législatives de 1973, les socialistes ont plus de sièges que les communistes – ce rééquilibrage étant la condition d’une victoire électorale. En 1974, à l’élection présidentielle, suite au décès de Georges Pompidou, il frôle l’élection au second tour face à Valéry Giscard d’Estaing. Cela lui donne la force (et la légitimité) pour résister à la double offensive, du Parti communiste, d’abord, qui en est venu à refuser que l’union de la gauche le réduise à un second rôle, et celle de Michel Rocard, appuyée partiellement par Pierre Mauroy, qui conteste sa prééminence et son discours économique. Les combats sont rudes mais il arrive à se jouer de l’opposition externe et de son opposition interne. Mettant à profit les divisions de la droite, dans un contexte de difficultés économiques et sociales, avec un chômage important, plaçant en position de faiblesse le gouvernement, il arrive, enfin, au but auquel il aspirait depuis les débuts de sa vie politique.

On a rapporté sa réaction à l’annonce du résultat de l’élection présidentielle, le 10 mai 1981 : « quelle histoire ! hein Quelle histoire ! ». Mais, c’est maintenant avec l’Histoire qu’il s’est affronté. La présidence de François Mitterrand donne lieu à un vaste débat[3]. Les points de vue sont souvent tranchés. Et « l’inventaire » n’est pas simple à dresser. Il y a un point d’accord. Il a su « occuper » la fonction présidentielle. Une autorité naturelle lui était déjà reconnue, bien avant même qu’il ne devint Premier secrétaire du Parti socialiste. Mais, de 1981 à 1995, il l’a, si l’on peut dire, cultivée, en se faisant plus solennel, intransigeant sur le protocole et sur le respect qui lui est dû, particulièrement dans les années de cohabitation. Peu contestable, également, est le plaisir qu’il a manifesté en exerçant le pouvoir pour les grandes comme les petites choses. Fort soucieux de sa liberté personnelle et dédaignant les contraintes collectives, il a eu parfois tendance à se placer au-dessus des règles usuelles pour ses amitiés passées, les affaires qui touchaient des proches, sa seconde famille, la séduction exercée par Bernard Tapie… En même temps, les français ont reconnu – et apprécié- la hauteur qu’il a su prendre, tout particulièrement quand son combat s’est élargi la lutte contre la maladie, malgré le mensonge médical. Mais il n’a pas porté, comme il aurait fallu la dimension morale que l’on pouvait attendre d’un homme d’Etat, défenseur proclamé des valeurs de la République.

En politique intérieure, le bilan est aussi contrasté. Un paradoxe (mais l’histoire en recèle beaucoup) a voulu qu’il a accompagné la mutation du pays entre deux phases historiques, 1981, regardait, malgré tout, beaucoup vers les années 1960, avec un programme qui avait été pensé à la fin des « trente glorieuses », en 1995, la France était plongée dans la mondialisation, après le bouleversement de la réalité européenne établie depuis 1945. L’économie n’était pas sa préoccupation principale. Il l’a laissé à ses ministres et aux experts. Mais il a du rendre un arbitrage majeur pour la gauche française (et pour le pays) en 1982 et 1983. Après, en effet, les réformes emblématiques mises en œuvre par le gouvernement de Pierre Mauroy (nationalisations, retraite à 60 ans, cinquième semaine de congés payés, 39 heures payées 40, Impôt sur la fortune etc, mais, aussi, abolition de la peine de mort, décentralisation etc…), la reprise internationale n’étant pas au rendez-vous, les déficits se creusant, l’heure du choix arrive. Il hésite à suivre les conseils de ceux, d’un côté, qui poussent à quitter le système européen et de ceux, de l’autre, qui veulent s’y maintenir au prix d’un changement de priorités économiques. Il finit par choisir l’Europe et la « rigueur », Pierre Mauroy étant confirmé pour un temps. François Mitterrand veut, cependant, maintenir un discours offensif. C’est le sens de l’action du gouvernement de Laurent Fabius qui entend « moderniser et rassembler ». Il n’empêche pas néanmoins la victoire de la droite aux élections législatives de mars 1986 (limitée par le choix d’un mode de scrutin proportionnel). Son autorité personnelle et son sens tactique lui permettent de sortir vainqueur de la cohabitation avec Jacques Chirac et sa majorité.

Il gagne les présidentielles de 1988. La « cohabitation », qui ne dit pas son nom, avec Michel Rocard de 1988 à 1991, appelé par ce qu’il a les faveurs de l’opinion et qu’il permet, faute d’union de la gauche (le parti communiste restant à l’écart), de réaliser une « ouverture » de la majorité au centre, apparaît, avec le recul, comme une occasion manquée. Celle où les socialistes auraient pu rétablir une cohérence entre leur pratique et leur doctrine, jeter les bases explicites d’une social-démocratie à la française, en inscrivant un socialisme de la liberté dans le monde nouveau. Il n’en a pas été ainsi, en raison de la culture politique de la gauche et de ses divisions, mais aussi parce que François Mitterrand ne l’a pas non plus voulu, préférant maintenir une ambiguïté plus propice aux rassemblements électoraux. « On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment », disait-il, reprenant une phrase de cardinal de Retz qu’il aimait citer. Le départ (forcé) de Michel Rocard, en mai 1991 arrive à un moment où la conjoncture économique se retourne, et les gouvernements d’Edith Cresson et de Pierre Bérégovoy ne peuvent remonter la pente. La lourde défaite des socialistes aux élections législatives de 1993 ouvre une seconde cohabitation, avec Edouard Balladur, comme Premier ministre, bien différente, le Président, luttant contre le cancer qui le ronge, et se consacrant davantage à l’image qui sera la sienne dans l’Histoire.

Evidemment, avec la politique internationale, François Mitterrand donne sa pleine mesure, d’autant plus qu’avec la Vème République, elle dépend entièrement du Président de la République. Comme avec les institutions, il s’inscrit assez aisément dans le cadre dessiné par le Général de Gaulle… Il cherche à donner un rayonnement à la France qu’il ne voit pas comme une « puissance moyenne », mais, pour reprendre une expression d’Hubert Védrine, une « puissance d’influence mondiale ». Il s’impose assez aisément parmi les Chefs d’Etat avec qui il noue des relations personnelles, avec Helmut Kohl, avant tout, pour encadrer la réunification allemande dans une union européenne renouvelée, avec Margareth Thatcher pour maintenir la Grande Bretagne dans la construction européenne, avec Ronald Reagan, malgré tout, pour faire face à la menace soviétique, au début des années 1980, ensuite avec Mikaël Gorbatchev qu’il soutient. Certains résultats sont bien sûrs incertains et il éprouve les limites de la diplomatie nationale et sa politique africaine reste marquée par l’ambiguïté. Mais, il fait des gestes qui marquent l’histoire, avec un sens aigu du symbole : le discours de Cancun en 1981, le discours du Bundestag en 1983, la poignée de main de Verdun en 1986, la visite à Sarajevo dévasté en 1992. Tout cela s’éloigne nécessairement dans le passé et intéresse, de plus en plus, avant tout, les historiens. Mais il est un point majeur qui nous fait toujours les héritiers de François Mitterrand et où le débat garde une forte actualité. Ce sont, bien sûr, les choix européens. Ses convictions étaient anciennes, et lui-même les rappelait souvent, depuis le Congrès de la Haye de 1948 et y a consacré ses dernières forces. Il a pensé, en effet, selon sa formule célèbre, « La France est notre patrie, l’Europe est notre avenir », que la France devait être au premier rang, pour son propre intérêt, d’une union européenne qui dépasse les égoïsmes nationaux, et conjure les drames du passé. Il voulait une Europe équilibrée, et pensait qu’après avoir créé le « contenant » avec le Traité de Maastricht, il restait à créer un « contenu », et que cela serait la tâche des générations suivantes. C’était tout son pari historique – un « pari pascalien » dit Jean-Pierre Chevènement à un moment où un inventaire se fait aussi sur les fondamentaux de la construction européenne. Mais il en va ainsi de toutes les actions historiques, cela n’aurait sans doute pas surpris François Mitterrand.

Les citations qui suivent ne permettent évidemment pas de répondre à toutes les questions soulevées – âprement débattues pour certaines – et à celles qui ne le sont pas, nombreuses inévitablement. Mais elles sont propices à la suggestion. Et, en ce vingtième anniversaire de la disparition de François Mitterrand, qui coïncide avec ce qui aurait été son centenaire, une bonne manière de mettre un terme à cette présentation est de livrer au lecteur un des portraits les plus fins qui ait été fait sur lui, par le chroniqueur de « La cour », André Ribaud, que le Canard Enchaîné livrait chaque semaine dans le plus pur style français classique que François Mitterrand révérait[4]. Il date de septembre 1965 : « C’était un homme entre deux tailles, entre deux âges, assez d’une figure aimable qui arrêtait avec plaisir les yeux des dames, d’une ambition qui s’appuyait de toute sorte de talents pour arriver à la plus haute fortune, riche en dons, fertile en ruses, en ressources, en ressorts, entreprenant, aussi hardi à changer de front qu’adroit à tirer de biais, maître signalé en artifices, avec extrêmement de valeur brillante et un cœur au-dessus des périls. Il avait fort de l’esprit, mais managé et, parfois, si labyrinthé qu’il se perdait dans ses détours et se laissait alors piégé en terrain coupé et raboteux, dans des taillis d’intrigues romanesques, dont il ne sortait qu’avec embarras, quoiqu’il eût d’ailleurs la tête froide et fort capable de tenir tout le soin de l’Etat ».
[1] Pierre Péan – Une jeunesse française-François Mitterrand, 1934-1947 – Fayard-1994 ; F.O. Giesbert – François Mitterrand – Une vie – Seuil 1996 ; Jean Lacouture – Mitterrand-Une histoire de Français, 2 vol, Seuil, 1998 ; Hubert Védrine – François Mitterrand – Un dessein-Un destin, Gallimard, « Découvertes » 2006 ; Jack Lang – Dictionnaire amoureux de François Mitterrand, Plon 2015 ; Michel Winock, François Mitterrand, Gallimard, 2015 ; Philip Short, François Mitterrand portrait d’un ambigu, Nouveau Monde, 2015 ; Eric Roussel, François Mitterrand – De l’intime au politique, Robert Laffont – 2015.
[2] Pierre Péan, op cit, et Johanna Baraz, De Vichy à la Résistance, Les vichysto-résistants, 1940-1944, Thèse non publiée-2010-Sciences Po Paris.
[3] Voir récemment dans le numéro 188 du Débat (janvier-février 2016), les deux articles d’Alain Duhamel, François Mitterrand : entre mythologie et histoire, et de Jean-Pierre Chevènement, François Mitterrand ou la ruse de la raison.
[4] André Ribaud, (Roger Fressoz) – Le Canard Enchaîné – 23 septembre 1965.
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Source: Actualités du PS

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