« Porno, l’enfer du décor » : pour la première fois dans l’histoire parlementaire, un rapport sénatorial, publié le 27 septembre, s’intéresse aux violences subies par les femmes dans le secteur de la pornographie et aux graves dérives qui entourent la production et la diffusion de ces contenus sur internet. Le Laboratoire a interrogé une des quatre rapporteures, Alexandra Borchio Fontimp, secrétaire général adjointe déléguée de notre mouvement et sénatrice des Alpes-Maritimes, pour l’éclairer sur ce qui doit devenir pour elle une « priorité de politique publique ».
Qu’est-ce qui a changé dans la pornographie depuis le début des années 2000 ? Pourquoi le secteur est-il devenu plus violent ?
Lorsque nous avons entamé nos travaux avec mes collègues rapporteures, nous avons très vite dressé un constat : la pornographie a suivi l’essor d’internet et a, de facto, changé radicalement de visage. Au milieu des années 2000, l’apparition des « tubes », grandes plateformes numériques de diffusion de dizaines de milliers de vidéos, a totalement bouleversé l’industrie du ‘’porno’’. Fondant leur modèle économique sur la génération d’un trafic massif, grâce à du contenu souvent piraté et gratuit, ces plateformes ont amené les consommateurs de pornographie à changer leur comportement. Au fil des ans, la société s’est numérisée et les modes de consommation avec. Une tendance qui s’est malheureusement confirmée avec la crise sanitaire et les confinements successifs. Aujourd’hui, il est tout aussi simple d’accéder à du ‘’porno’’ que de faire ses courses en ligne.
Représentant 25% du trafic web mondial, cette industrie s’est mutée en un véritable business où le ‘’porno’’ est devenu plus une affaire d’argent qu’une affaire de sexe. Pesant plusieurs milliards d’euros, ce business plus que lucratif a rapidement été accaparé par quelques multinationales propriétaires des « tubes » qui n’hésitent pas à exploiter la vulnérabilité psychologique et économique de jeunes femmes pour alimenter leur flux. Répondant à une sorte de politique de l’offre et de la demande, ces ‘’producteurs’’ enchaînent des productions aux conditions de tournage déplorables au sein desquels la marchandisation du corps des femmes et du sexe est devenue monnaie courante.
Par ailleurs, depuis 2010, sont également apparues des plateformes de partage de contenus à caractère sexuel telles qu’Onlyfans ou MYM. Parallèlement à cet essor, les réseaux sociaux et messageries privées comme Snapchat, WhatsApp ou encore Telegram sont devenus de nouveaux vecteurs de diffusion de contenus pornographiques. Or, on sait que ces canaux de diffusion sont particulièrement appréciés par notre jeunesse : plus de 70% des 15-16 ans sont présents sur au moins 4 réseaux sociaux (Instagram, Twitter,Snapchat…).
Cette massification, presque à outrance, de la diffusion du ‘’porno’’ a considérablement contribué à la recrudescence de contenus de plus en plus « trash », violents qui font fi des conditions de tournage et des contrôles.
Comment renforcer la répression pénale contre des producteurs responsables de violence ? Quelle régulation imposer aux plateformes dans ces cas ?
Tout d’abord, pour que répression il y ait, condamnation il doit y avoir. Et pour que condamnation soit prononcée, procès et donc dépôt de plainte il doit y avoir. Je suis persuadée qu’un travail fondamental de libération de la parole sur ces violences doit se faire. C’est une condition sine qua non ! Nous devons briser les tabous, bousculer les consciences afin d’encourager les victimes à dévoiler au grand jour les abus de cette industrie. Comment une actrice trouvera-t-elle le courage de passer la porte d’un commissariat si l’opinion publique campe sur la position selon laquelle le ‘’porno’’ est synonyme de violence ? Elle ne le trouvera pas, – ce courage -, et la Justice ne sera donc jamais saisie.
Mes collègues rapporteures et moi-même avons été agréablement surprises de l’écho qu’a eu notre rapport. Encore aujourd’hui, nous continuons de recevoir des demandes d’interview et nous poursuivons notre tournée des ministères pour présenter nos travaux aux membres du Gouvernement. Nous espérons sincèrement que ces entretiens donneront lieu à des prises de décision concrètes et fermes. Mais nous avons bon espoir ! Nos interlocuteurs semblent sensibles aux problématiques présentées et à nos recommandations.
Après des mois d’auditions, notre revendication première est claire : la lutte contre les violences pornographiques et la marchandisation des corps doit devenir une priorité de politique publique. Comme je vous l’ai expliqué plus haut, nous devons imposer dans le débat public la question des violences pornographiques. Comment peut-on envisager de fermer les yeux plus longtemps sur un tel sujet lorsque l’on sait que 90% des scènes pornographiques présentes sur internet comportent de la violence ? En plus de la banaliser, presque de la ‘’normaliser’’, nous mettons en danger notre jeunesse. Là aussi, nous devons cesser de nous leurrer. Nos enfants naissent avec des tablettes entre les mains. Au cours de nos études, nous avons dressé l’accablant constat que les enfants et adolescents développent de nos jours une consommation de plus en plus massive, précoce et toxique de contenus pornographiques. 1/3 des garçons de moins de 15 ans se rend sur un site ‘’porno’’ chaque mois et 2/3 des enfants de moins de 15 ans a déjà eu accès à de telles images. C’est effrayant !
Pour que cette tendance s’inverse et que les producteurs soient punis, il est impératif que la parole se libère. Ainsi, nous avons mis en avant plusieurs pistes :
– Favoriser le dépôt de plaintes en améliorant les conditions d’accueil des victimes en formant les forces de l’ordre au recueil des plaintes spécifiques de ces dernières et en instaurant un suivi de leur dossier par un contact unique ;
– Prendre en compte le contexte spécifique des violences pornographiques en adaptant les conditions d’accueil et d’écoute du numéro national 3919 dédié à la prise en charge des femmes victimes de violences ;
– Imposer aux diffuseurs, plateformes, réseaux sociaux des amendes face à toute diffusion de contenu illicite ;
– Ou encore imposer aux plateformes de satisfaire gratuitement aux demandes de retrait de vidéos formulées par les personnes filmées.
Votre rapport porte également sur la régulation de l’accès aux contenus pornographiques en ligne. Face aux difficultés techniques de mise en œuvre et au cadre de protection des données personnelles, la puissance publique a-t-elle les moyens de mettre en œuvre cette régulation ?
Encore une fois, nous devons être lucides et honnêtes sur cette question. Oui, la puissance publique a les moyens de mettre en place une régulation de l’accès aux contenus pornographiques mais cela ne se fera pas sans difficulté et sans un travail de longue haleine. A l’heure actuelle, cette régulation est quasi inexistante sur Internet.
S’il n’a longtemps eu aucune compétence sur Internet, le CSA – aujourd’hui l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) – est désormais chargé de la régulation systémique des plateformes ayant une activité d’intermédiation en ligne, telles que les plateformes de partage de vidéo, les réseaux sociaux, les moteurs de recherche, les agrégateurs et les magasins d’application. Pour autant, force est de constater que l’accès aux sites pornographiques demeure encore extrêmement aisé pour n’importe quel public. Aucun contrôle de l’âge n’est prévu pour accéder aux sites Pornhub, YouPorn, Xnxx, Tukif, etc.
C’est pourquoi, nous avons souhaité dans nos recommandations donner plus de moyens à l’Arcom pour lui permettre d’agir :
– Lui confier la possibilité de prononcer des sanctions administratives, aux montants dissuasifs, à l’encontre des sites pornographiques accessibles aux mineurs ;
– Qu’il définisse dans ses lignes directrices des critères exigeants d’évaluation des solutions techniques de vérification de l’âge ;
– Que ces agents soient assermentés afin de leur permettre de constater eux-mêmes les infractions des sites pornographiques accessibles aux mineurs. Parallèlement à l’action de l’Arcom, nous souhaitons imposer aux sites pornographiques la diffusion de messages d’avertissement sur les contenus violents ou encore l’affichage d’un écran noir tant que l’âge de l’internaute n’a pas été vérifié. Enfin, nous prônons pour une meilleure détection des comportements violents sur internet en créant une catégorie « violences sexuelles » dans les signalements à Pharos afin de faciliter et de mieux compatibiliser les signalements.
>> Lire l’interview sur www.lelaboratoiredelarepublique.fr
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Source: Actualités LR
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