Projet de loi audiovisuel : La majorité expédie ce projet de loi sans être à la hauteur des enjeux !

Intervention de Michel LARIVE dans le cadre de la proposition de loi « Protection et accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique ».

« L’année dernière, votre prédécesseur Franck Riester, a déposé un projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique. Nous en avons débattu en commission puis la crise sanitaire a interrompu le travail parlementaire. Le Gouvernement, donc vous cette fois-ci Madame Bachelot, a choisi de ne pas inscrire à nouveau ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et vous avez décidé de légiférer par ordonnance sur une grande partie de ce texte. C’est le cas pour les articles sur lesquels nous nous sommes opposés, aux côtés d’associations comme La Quadrature du Net. Ils attaquent la liberté d’expression sur internet et instaurent une surveillance généralisée des contenus, sans aucune mesure efficace contre la censure dont des organisations politiques, des syndicats, des associations, des artistes ou de simples citoyens sont l’objet depuis des années. La semaine dernière, nous avons à nouveau proposé des amendements pour garantir la liberté d’expression sur internet ainsi que sur les réseaux sociaux. Ils ont été encore une fois écartés.

Permettez-moi tout de même de vous rappeler ces quelques cas de censure ce mois-ci : le 1er juin 2021, le Parti communiste français dénonçait la censure opérée par Facebook sur l’une de ses pages en période électorale. 3 jours plus tard, le 4 juin 2021, c’est le journal Fakir qui est censuré par Facebook : toute publication renvoyant vers le site du journal est alors bloquée et les anciens posts ont été supprimés. Sans aucune explication de la part de la plateforme, la censure s’est exercée.

En janvier, Twitter a suspendu plusieurs comptes de militantes féministes qui ont osé publier et relayer la question suivante « Comment fait-on pour que les hommes arrêtent de violer ? ». Twitter expliquera quelques jours plus tard avoir accru son « utilisation du machine learning et de l’automatisation afin de prendre plus de mesures sur les contenus potentiellement abusifs et manipulateurs ».

C’est exactement ce que nous avons dénoncé en mars 2020 et encore la semaine dernière : une vérification humaine doit toujours avoir lieu avant la suppression d’un contenu.

La Commission européenne va dans le même sens. Le 4 juin 2021, dans ses orientations pour aider les États membres à transposer l’article 17 de la directive droit d’auteur, la Commission européenne restreint le blocage automatique aux contenus « manifestement illicites » signalés par un ayant droit. Ainsi, les autres contenus devront être mis en ligne puis examinés par une personne humaine.

Vous laissez ces plateformes, Twitter, Facebook, YouTube, sans aucun contre-pouvoir.

Seules, elles décident de ce qui peut être ou non publié et communiqué. Seules, elles décident de la façon de surveiller tous les contenus. Seules, elles décident aussi de surveiller tous nos comportements, de collecter des informations personnelles, nos goûts, nos opinions politiques, religieuses, nos habitudes de consommation, de stocker toutes ces données… et de les monétiser. C’est-à-dire de gagner de l’argent en nous épiant. Ces grandes plateformes sont en réalité de grands espaces de publicité extrêmement peu régulés : vous avez d’ailleurs là aussi refusé l’année dernière nos amendements pour protéger nos enfants contre les injonctions à consommer toujours plus, pour alerter les usagers de ces plateformes contre la malbouffe et les produits qui polluent le plus et dérèglent notre climat.

Plus de la moitié de nos amendements ont été jugés irrecevables en commission. 23 sur 45 ! Les débats sont bâclés en une journée. Vous expédiez ce projet de loi sans être à la hauteur des enjeux.

Autre sujet, et non des moindres, qui a disparu de ce projet de loi : l’audiovisuel public. Ce chantier est toujours en jachère, témoignant de l’absence totale d’ambition du Gouvernement dans ce domaine comme l’atteste chaque année le choix des budgets en baisse pour le service publique de l’audiovisuel. Une baisse de 190 millions d’euros entre 2018 et 2022, dont 160 M€ pour France Télévisions et 20 M€ pour Radio France.

Que reste-il de ce projet de loi ? La fusion entre le CSA et la Hadopi d’abord, au sein de l’Arcom. Arrêtons-nous un instant sur le bilan de la Hadopi. En 2019, la Hadopi a envoyé 830 000 avertissements, ce chiffre n’a jamais été aussi faible. Ce ne sont pas des avertissements où l’on reproche à l’internaute le piratage d’un bien culturel. Ce qui est reproché, c’est le fait de ne pas avoir protégé correctement son réseau. C’est un système complètement hypocrite. Il est par exemple légal de souscrire à un VPN qui permet de cacher son adresse IP : le réseau est ainsi « protégé » mais il échappe aussi au contrôle de la Hadopi. Cela n’a aucun sens ! D’autre part, les usages se sont modifiés : le streaming illégal a remplacé le téléchargement et l’offre légale s’est développée. La Hadopi s’avère à la fois coûteuse et inefficace. Elle a coûté 80 millions d’euros et a engendré 87 000€ de recettes via les amendes.

La mission de protection de la propriété intellectuelle doit être à nouveau confiée à la justice judiciaire plutôt qu’à une autorité administrative, comme tout ce qui relève de la liberté d’expression.

Plutôt que de dépenser des millions dans une politique de répression des internautes inefficace, il faut travailler au développement de l’offre légale en créant par exemple un service public nouveau de l’internet et une plateforme publique d’offre légale en ligne de musique, films et contenus culturels.

Le CSA ensuite. Une réforme de sa gouvernance est indispensable. Nous sommes opposés à la nomination du président du CSA par le président de la République. Nous avons proposé qu’il soit élu par les deux commissions des affaires culturelles de l’Assemblée nationale et du Sénat. C’est une réforme qui est demandée depuis des années par des parlementaires de tous bords. Laissez-moi vous rappeler les nombreux articles qui ont suivi la révocation de Mathieu Gallet par le CSA en janvier 2018. C’était alors Mme Nyssen qui occupait le poste de Ministre de la culture. Ouest France titrait le 31 janvier 2018 “Mathieu Gallet révoqué : le CSA est-il aux ordres ?” Le lendemain, c’est Libération qui titrait “L’éviction de Gallet relance le vieux débat sur l’indépendance du CSA”. Le 1er févier 2018, Thomas Snégaroff, journaliste et historien conclue ainsi sa chronique : “Indépendance réelle ou seulement formelle ? Près de 30 ans plus tard, cette question fondamentale pour notre démocratie n’est manifestement pas encore tranchée.” Il est temps que cela change !

Nous avons également proposé que 2 représentants des usagers siègent au CSA. Voilà 2 mesures qui apportent à la fois des garanties d’indépendance et une exigence démocratique.

55% des français ont un fort sentiment de méfiance à l’égard des médias selon une enquête de l’IFOP publiée vendredi dernier. Les deux sentiments qui suivent sont la colère et le dégoût , cela devrait vous interpeller. L’intérêt, lui, n’arrive qu’en quatrième position. 67 % des français disent douter de la véracité des informations qu’ils reçoivent de la part d’un média reconnu. Une précédente étude parue en janvier 2021 indiquait que 63% des français pensent que les journalistes ne résistent pas aux pressions des partis politiques et du pouvoir et 59% qu’ils ne résistent pas aux pressions de l’argent. Ils mettent donc en cause à la fois la crédibilité des médias et l’indépendance des journalistes.

Nous avions aussi proposé la création d’un conseil de déontologie. Composé de représentants des usagers des médias et de représentants de journalistes, y compris les précaires et pigistes, ce conseil de déontologie donnerait aux citoyens la possibilité d’avoir un recours pour faire respecter leur droit à une information objective. Vous l’avez jugé irrecevable.

Cette question de l’indépendance des médias aux puissances de l’argent est cruciale alors que l’on observe des phénomènes de concentration toujours plus importants.

Avec la fusion des groupes M6 et TF1, on assiste à une mainmise progressive de TF1 sur la TNT : la chaine est passée d’un seul canal de diffusion sur treize canaux gratuits à plus du tiers des canaux actuels, soit 9 canaux sur 25 !

Laissez-moi vous rappeler le programme du Conseil National de la Résistance, adopté en 1944 sous le nom « Les jours heureux ». Il affirme « la pleine liberté de pensée, de conscience et d’expression, la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des influences étrangères, la liberté d’association, de réunion et de manifestation ».

Les 9 milliardaires qui se partagent 90% de nos médias ne sont pas engagés que par intérêt économique ou par passion du journalisme, mais bien pour en faire des outils de propagande politique.

L’exemple du groupe Bolloré est emblématique de ces dérives. Le groupe Canal+, outre la chaîne éponyme, détient trois chaînes gratuites : C8, CNews et CStar. CNews c’est aussi l’un des premiers quotidiens de France avec près de 900 000 exemplaires diffusés chaque jour. La station de radio Europe1, dont les journalistes sont actuellement en grève pour dénoncer « un management autoritaire et inadapté qui se durcit au fur et à mesure que se précise l’emprise de Vincent Bolloré ». Aussi, ces derniers ne veulent en aucun cas être associés à la ligne éditoriale de Cnews qui dérive vers la promotion des thèses d’extrême droite. Craintes que l’on peut comprendre, lorsque l’on voit que M. Louis De Raguenel, ancien de Valeurs actuelles, a été nommé chef du service politique d’Europe1.

Vincent Bolloré et son groupe ne sont pas des passionnés du journalisme comme je vous le disais précédemment. Ils ont attaqué régulièrement des journalistes qui osaient les contredire ou les ont tout simplement licenciés. En janvier 2018, 26 associations, 23 médias et de nombreux journalistes publiaient une tribune intitulée « Face aux poursuites-bâillons de Bolloré : nous ne nous tairons pas ! ». Ils dénonçaient les « entraves à la liberté de la presse dont est désormais coutumier le groupe Bolloré ». « Plus d’une quarantaine de journalistes, d’avocats, de photographes, de responsables d’ONG et de directeurs de médias, (je les cite) ont été visés par Bolloré et ses partenaires. (…) Ces poursuites systématiques visent à faire pression, à fragiliser financièrement, à isoler tout journaliste, lanceur d’alerte ou organisation qui mettrait en lumière les activités et pratiques contestables de géants économiques comme le groupe Bolloré. » Ils appellent de leurs vœux des réformes pour « un renforcement de la liberté d’expression ».

C’est ce que nous avons proposé de faire en interdisant qu’une même personne contrôle à la fois une chaîne de télévision, une radio et une publication d’information politique et générale. De même, nous voulons démanteler, comme cela s’est fait ailleurs, ces grands groupes de média aux mains de quelques milliardaires. Nous proposons qu’il soit impossible qu’un groupe controle plusieurs chaînes de télévision. Enfin, troisième volet de cette loi anti-concentration dont nous posons les premiers jalons : un même groupe ne peut posséder à la fois le réseau et l’objet qu’on diffuse. C’est-à-dire qu’on ne peut pas être à la foi fournisseur d’accès à internet et de Box TV et contrôler des chaines de télévision.

Le Sénat, qui n’est pas soumis à la censure de la majorité présidentielle, a introduit 2 articles qui relèvent les seuils de concentration des médias. La seule mesure sur lesquelles nous allons pouvoir débattre est… comment concentrer davantage les médias ! Encore une fois, ce Gouvernement choisit de regarder ailleurs quand il s’agit de défendre l’intérêt général, d’être du côté des citoyens et la liberté d’information, de garantir enfin le pluralisme dans les médias.

Autre point : ce projet de loi propose de lutter plus efficacement contre le piratage sportif. Mais à nouveau, il s’attache à défendre le droit des actionnaires qui possèdent les chaines titulaires des droits de diffusion sans jamais se demander s’il ne relevait pas de l’intérêt général de permettre un accès à tous, sans condition de ressource, à ces retransmissions de compétitions sportives.

Un article additionnel, là aussi introduit au Sénat, permet d’inclure des disciplines individuelles dans les événements d’importance majeure ne pouvant être retransmis en exclusivité sur des chaînes payantes. Ce sont par exemple des compétitions comme le Vendée Globe, la Coupe de l’America ou encore les championnats du monde de judo qui pourraient enfin être vus gratuitement ! Le 9 juin 2021, la judokate française Clarisse Agbegnenou a été sacrée championne du monde pour la cinquième fois. Mais pour pouvoir suivre cette compétition il fallait être abonné à la chaine Eurosport. Évidemment, cet article a été supprimé par la rapporteure, avec avis favorable du Gouvernement. Un article proposait également une représentation équilibrée entre sport féminin et masculin. Cela aurait ainsi permis une retransmission du tour de France féminin qui aura lieu l’année prochaine… Mais le Gouvernement a préféré déplacer cette exigence vers un autre article et seul le Tour de France masculin sera retransmis sur une chaine gratuite… comme chaque année.

Deux derniers éléments ont motivé cette motion de rejet. Le premier concerne la bifurcation écologique qui doit être au cœur de tout projet politique. Rien de tout cela dans ce texte : la réduction de la pollution numérique, le respect des objectifs de la Stratégie Nationale Bas Carbone et l’obsolescence programmée des téléviseurs et décodeurs TV liés au passage à l’ultra haute définition. La rapporteure renvoie aux débats sur la proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France et tant pis s’ils n’abordent pas ces questions spécifiques aux missions confiées au CSA ni le passage à l’ultra haute définition.

Le dernier point concerne le droit des habitants des outre-mer à avoir accès à l’ensemble des chaines de la TNT ainsi qu’une connexion à internet au même prix que dans l’hexagone. De cela, impossible de débattre. Cet amendement a été censuré.

Comme vous pouvez le constater, nous défendons un autre projet politique, un projet politique qui place en son cœur l’intérêt général et pas l’intérêt de quelques-uns. Un projet politique avec des exigences de transparence, de démocratie, de pluralisme quand vous n’apportez aucune garantie et refusez toute réforme de la gouvernance du CSA. Un projet politique qui préserve les libertés d’expression et de s’informer quand vous laissez la censure régner, que vous refusez de confier ce pouvoir au juge judiciaire pour la laisser entre les mains d’entreprises privées. Un projet politique qui donne les mêmes droits aux habitants des outre-mer qu’à ceux qui vivent dans l’hexagone. Un projet politique qui permet à tous de partager les grandes compétitions sportives, féminines et masculines, handisport également, quand vous les réservez à ceux qui ont les moyens financiers de cumuler les abonnements auprès des grands groupes privés. »

Source: Actualités La France insoumise

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