Scrutin proportionnel aux législatives : une fausse bonne idée ?

Le plus grand serpent de mer politique des dernières décennies ressurgit depuis plusieurs semaines sous l’impulsion et la pression de François Bayrou, haut-commissaire au plan : il s’agirait d’« instiller » une dose de proportionnelle dans le cadre des prochaines échéances législatives prévues en Juin 2022. Ainsi, malgré une tradition républicaine favorable au scrutin uninominal majoritaire, système dominant depuis 1852 pour les législatives en excluant la parenthèse désastreuse de la IVème République, la logique « proportionnaliste » est vouée à devenir le signe de cette « modernité démocratique » préoccupée par les notions de justice électorale et de représentation de tous les courants politiques.
Ainsi, faudrait-il, comme le proposent un certain nombre de responsables politiques, réviser le mode de scrutin pour les futures élections législatives afin de tendre vers une généralisation de la représentation proportionnelle, ses partisans affirmant qu’elle est le seul système « juste », le seul qui donne une représentation « vraie » de l’opinion. Les systèmes électoraux ne seraient donc que des instruments passifs donnant une photographie de l’opinion à un instant donné, tels un institut de sondage dont l’échantillon serait l’entièreté du corps électoral ; tout en oubliant qu’ils contribuent également à lui donner une forme, à la modeler d’une certaine façon. Mais, au fait de quelle représentation proportionnelle parle-t-on exactement ?
Le système de la « dose » de proportionnelle relance un vieux débat. Concrètement, l’électeur voterait pour un candidat au scrutin majoritaire dans sa circonscription et pour une liste de candidats commune à toutes les circonscriptions d’un département. Il y aurait donc de facto nécessité de redécouper l’intégralité des circonscriptions avec l’apparition de contraintes géographiques, démographiques et évidemment, des contraintes politiques à prendre en compte et qui risquent de compliquer la tâche.
Autre solution, les deux modes de répartition entre scrutin proportionnel et scrutin majoritaire pourraient être totalement indépendants l’un de l’autre, tout en permettant la prédominance effective des élus au scrutin majoritaire, en prenant appui par exemple sur le nombre de députés à élire à l’échelle du département pour déterminer le mode de scrutin. Néanmoins, la composition finale de l’Assemblée resterait très éloignée de la proportionnalité parfaite.
Quant à la représentation proportionnelle intégrale dans le cadre d’une circonscription nationale unique, expérimentée en 1986, seul système assurant aux formations pléthoriques une représentation à l’Assemblée nationale, elle serait synonyme du retour au multipartisme exacerbé et au régime d’assemblée de la IVème République où les conflits innombrables au sein de l’hémicycle entre de nombreux groupes parlementaires rivaux finissaient par mettre en péril l’exécutif lui-même. Ce scénario semble être, pour l’heure, totalement écarté par le Président de la République qui sait pertinemment que les majorités de coalition associant des groupes minoritaires ont l’inconvénient d’être des majo-rités instables et que les partis « charnières » peuvent, selon leur orientation faire et défaire une majorité. La proportionnelle intégrale comporte un risque réel de fragmentation accrue de la vie politique à l’image de pays comme Israël ou encore l’Espagne.
Ultime possibilité : le compromis visant à combiner représentativité et stabilité en instaurant alors un système majoritaire avec une dose de proportionnelle. Ce système dit mixte combine, selon certaines variables, des éléments des scrutins majoritaires et proportionnels. Il s’agirait donc de cumuler les avantages des deux méthodes en en limitant les inconvénients, comme celui utilisé pour les élections municipales dans les communes de plus de 1 000 habitants. Dans ce cas précis, la liste arrivée en tête au soir du second tour est assurée d’une majorité, tout en permettant une alliance de listes minoritaires entre les deux tours afin d’assurer leur représentativité. L’existence d’un tel mode de scrutin qui s’apparente à un compromis des deux modes soulève toutefois plusieurs interrogations, et peut entraîner certains écueils cumulatifs soulevés par la combinaison des deux philosophies de scrutin. L’importance des effets majoritaires ou proportionnels varie en effet fortement en fonction de l’importance de la part de sièges concernés pour l’un ou par l’autre mode de scrutin.
Néanmoins, quel que soit le format retenu, la proportionnelle engendre inexorablement l’introduction de scrutins plurinominaux pour tout ou partie des circonscriptions, synonymes d’un risque accru de perte de proximité, d’éloignement du terrain des représentants du peuple. Cette dépersonnalisation peut entraîner le risque d’un nouveau rejet de la classe politique et accentuer de facto l’abstention.
En définitive, le choix porté sur tel ou tel mode de scrutin peut être considéré comme un frein ou un accélérateur.
La proportionnelle peut être assimilée à un accélérateur du développement du débat sociétal, économique ou politique enrichi par la pluralité des partis, et permet de favoriser l’influence de tous les « petits » partis, correspondant à des forces sociales même secondaires. Dans le même temps, elle semble être un frein si l’on considère que la proportionnelle déboucherait inévitablement sur une fragilisation de la base parlementaire de l’exécutif nouvellement élu avec un risque de fragmentation accrue de la vie politique, frein aussi pour la mise en œuvre de son projet et des engagements électoraux qui en découlent.
Quant au système majoritaire, il joue le rôle d’un frein lorsqu’il empêche la formation d’un parti tant que ce dernier n’incarne pas une force sociale suffisamment forte ; a contrario, il peut accélérer la disparition d’un parti. Si les scrutins majoritaires amplifient nécessairement les effets de mouvements d’opinion, ils sont aussi la garantie d’efficacité dans l’exercice du pouvoir en limitant l’émiettement des forces politiques en présence et permettant ainsi des majorités homogènes.
Tout changement de mode de scrutin ne saurait être fondé sur des préoccupations électoralistes mais plutôt sur des raisons d’intérêt général impérieuses, liées à une meilleure expression du suffrage universel. Certes, l’érosion préoccupante de la participation aux élections législatives de 2017 peut être un des arguments recevables pour justifier de la nécessité d’un tel questionnement sur le mode de scrutin.
Néanmoins, les partisans de la proportionnelle oublient un peu vite que le phénomène de l’arythmie entre les mandats présidentiel et législatif qui prévalait avant le passage au quinquennat en 2002 en est véritablement l’un des facteurs explicatifs. De surcroît, les mécanismes politiques, les modes de scrutins sont moins décisifs sur la participation que l’enjeu du scrutin en lui-même ou encore l’offre politique. Preuve en est : l’abstention croissante des citoyens aux élections dites « intermédiaires » malgré un choix politique très large lié au scrutin proportionnel, comme aux élections européennes.
C’est pour cela qu’au-delà du souhait d’une représentation juste et équilibrée de tous les citoyens, l’élection des représentants de la nation à l’Assemblée nationale doit privilégier la volonté de donner au pays une majorité stable permettant de faire prévaloir l’intérêt général sur celui des partis ou de catégories spécifiques. Charge au futur exécutif d’obtenir des résultats probants pour améliorer la vie quotidienne des Français afin d’arracher le regain de participation tant espéré depuis des années !
Alexandra Borchio-Fontimp
Secrétaire adjointe déléguée
Sénatrice des Alpes-Maritimes
Stéphane Le Rudulier
Sénateur des Bouches-du-Rhône
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Source: Actualités LR

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