Olivier Marleix : « Il n’y a plus personne pour défendre l’intérêt national ! »

Plus qu’une charge contre le macronisme, le député d’Eure-et-Loir signe avec Les Liquidateurs (Robert Laffont) une réflexion passionnante sur quatre décennies de capitalisme mondialisé. Le bilan qu’il en dresse est sans concession : au nom de leurs intérêts privés, les élites au pouvoir ont liquidé notre industrie et notre souveraineté.
Votre nouvel essai s’intitule « Les Liquidateurs »… Qui visez-vous ? Jacques Attali, Pascal Lamy, Alain Minc ? Emmanuel Macron lui-même ?
Ce sont les mêmes, ils professent la même pensée unique: toujours plus d’ouverture aveugle au grand marché mondial d’une part, et toujours plus de redistribution, de « social-démocratie » de l’autre, pour en atténuer les effets délétères. L’État est prié de rester en dehors des affaires du monde, sauf pour passer la serpillière sociale.
C’est sur cette idéologie que se fracasse la France depuis quarante ans: la redistribution coûte de plus en plus cher, elle se traduit en impôt ou en dette et perte de compétitivité accrue pour nos entreprises. C’est un cercle vicieux. Ce système touche à son paroxysme puisqu’on découvre avec la crise de la Covid ce qu’il en coûte de nous être appauvris industriellement et que nous allons devoir faire face à une demande de bien public (hôpitaux, Ehpad, écoles) encore plus forte alors que nous aurons moins que jamais les moyens d’y répondre. Emmanuel Macron, loin d’avoir porté une rupture, n’aura bien été que le fidèle disciple de ses maîtres.
Vous avez saisi la justice sur l’existence « possible » d’un « pacte de corruption » en marge de certaines ventes industrielles : Alstom, Alcatel… Pourquoi ? Que révèlent ces ventes ?
Qu’il n’y a plus personne pour défendre l’intérêt national! Alstom et Alcatel n’étaient pas des entreprises anodines. La première nous assurait notre autonomie dans le secteur nucléaire (la partie conventionnelle), l’autre notre indépendance dans l’équipement numérique pour télécommunications. Ces entreprises, nourries par soixante-dix ans de recherche et de commandes publiques étaient au cœur de notre souveraineté. La loi interdisait qu’elles soient vendues sans l’accord de l’État.
Or, ce même État qui est capable d’envoyer chaque jour des milliers de fonctionnaires dresser des procès-verbaux au moindre commerçant indépendant, artisan ou petit patron de PME avec ce que le président Pompidou appelait « la rage du contrôle », cet État fut absent et a laissé faire sans se poser la moindre question. Avec Emmanuel Macron, c’est l’État tatillon en bas, dans le quotidien de nos entreprises, et le capitalisme de connivence en haut. Comme si les quelque 500 millions d’euros d’honoraires de conseils payés dans le dossier Alstom répondaient à un projet supérieur à l’intérêt national. Dans quel autre pays voit-on cela ?
Depuis la crise de la Covid, Emmanuel Macron se fait le défenseur de notre souveraineté industrielle. Vous n’y croyez pas ?
Le fait d’être celui qui s’est le plus trompé donne-t-il une qualification particulière ? Au-delà des ventes que nous venons d’évoquer, je vous rappelle qu’il y a moins d’un an, la privatisation de notre plate-forme aéroportuaire nationale était une priorité du gouvernement. Aux Pays-Bas, ou aux États-Unis, pays vraiment libéraux, les aéroports internationaux sont considérés comme stratégiques et gérés par la puissance publique. Et en ce moment même, le gouvernement travaille à un démembrement d’EDF. Si nous n’opposons pas fermement à la Commission européenne la défense de notre patrimoine scientifique et technique, la prochaine étape sera l’éclatement du parc nucléaire français en plusieurs acteurs privés ! C’est cela le projet ? Les réalités ont pris le gouvernement à revers de ses choix idéologiques. Il est en réalité perdu. Du coup, dans la panique, il protège l’épicier Carrefour dont l’activité n’est, par définition, pas délocalisable… Quelle cohérence! Le gouvernement proclame qu’il veut relocaliser les activités de demain… pas celles d’hier. Faut-il comprendre que les équipements numériques de télécommunication d’Alcatel-Nokia, les câbles sous-marins d’ASN qui assurent 80 % du trafic de l’internet mondial, sont des activités du passé ?
Notre faiblesse industrielle, mise en évidence par la crise sanitaire, est-elle la conséquence de ce que vous appelez le capitalisme mondialisé ? En France, celui-ci est-il lié à la technostructure ?
Notre pays s’est plus désindustrialisé que les autres. Cette deuxième gauche qui nous a imposé en même temps le grand marché mondial et les lois Auroux ou les 35 heures a une responsabilité première. Notre fiscalité, nos normes, nos contrôles ont découragé tant d’entrepreneurs. Nous avons fait le lit de ce capitalisme financier dont nous feignons de découvrir qu’il fait moins de sentiments que ces patrons d’antan qui connaissaient le prénom de tous leurs ouvriers. Les Allemands ou les Italiens n’ont pas fait ce choix. Du coup, obéissant à des logiques trop exclusivement financières, nous avons plus délocalisé que les autres. Pour 10 emplois en France, une entreprise industrielle française en a 6 à l’étranger.
Un autre phénomène a joué : dans notre économie, le poids des grands groupes, fruit du colbertisme d’après-guerre, est très important. Quatre-vingts grandes entreprises réalisent à elles seules 50 % de la production industrielle du pays. Or, faute de capitalisme familial, ces entreprises sont souvent mal contrôlées. La France a ainsi été le terrain de jeu favori des fusions-acquisitions, nos champions étant le plus souvent les «vendus», avec des conséquences désastreuses pour notre appareil productif.
« Le libéralisme luttait contre les monopoles, le capitalisme mondial est en train de les reconstituer », écrivez-vous. Quelle différence faites-vous entre libéralisme authentique et capitalisme mondialisé ?
Pour Milton Friedman, le libéralisme, c’est l’échange volontaire sur un marché homogène. Rappelons-le, sa pensée est antérieure à la mondialisation de l’économie. Aujourd’hui, on est dans un échange imposé à nos entrepreneurs (par des accords de libre-échange parfois dogmatiques) sur un marché mondial sans règles. On peut produire à 2 euros de l’heure en Chine, vendre en France et placer sa fiscalité dans un paradis fiscal. Quelle entreprise française peut résister à cette concurrence déloyale ? La mondialisation a fait muter le capitalisme. Il prospère désormais sur l’absence de règles sur un marché mondial, pour le moins non homogène. Les Gafam en sont un exemple criant, mais il n’y a pas qu’elles. Le capitalisme devient illibéral.
Ce capitalisme mondialisé s’accompagne d’une explosion des dépenses sociales et de la dette. Sont-elles la conséquence des déséquilibres créés par la mondialisation ?
C’est presque risible de constater que ces États, à qui on dénierait le droit de défendre leurs emplois et leurs entreprises, sont en revanche les bienvenus pour prendre en charge les « externalités négatives » de la mondialisation. Certains ont un temps pensé, avec cynisme, que ce ne serait pas grave, qu’on faisait juste une croix sur notre classe ouvrière… Mais on découvre que le dumping mondial est sans fin: ce sont nos ingénieurs, nos scientifiques, nos informaticiens qui sont en concurrence, avec les Indiens par exemple. Il faut faire l’exact inverse de ce que conseille Alain Minc : un peu de protection pour moins de redistribution.
Bien sûr, nous devons aider nos entreprises à retrouver plus de compétitivité par la baisse des impôts et des charges ; cela suppose que nous acceptions de travailler plus, que nous fassions le tri dans nos dépenses publiques et sociales, notamment dans ces dépenses d’assistanat que les Français modestes sont désormais les premiers à dénoncer. Mais ce moins d’État en bas doit s’accompagner de plus d’État en haut. Défendons pied à pied notre appareil productif face aux acquisitions malveillantes, créons un fonds souverain alimenté par l’épargne des Français pour retrouver tout de suite une capacité capitalistique à la hauteur de l’enjeu, obligeons l’Europe à davantage utiliser les instruments de défense commerciale.
La droite propose-t-elle une politique économique réellement différente de celle de Macron? Doit-elle revoir son logiciel économique ?
Nous devons convaincre les Français que l’effort de redressement passe par plus de travail, et moins de dépenses publiques pour alléger le poids qui pèse sur nos entreprises. Mais cela ne doit pas apparaître comme un choix dogmatique. Sur nos dépenses sociales, par exemple, ce sont étrangement toujours les dépenses de santé ou de retraite que certains veulent chambouler. Je ne pense pas que la privatisation de la Sécurité sociale serait un progrès ! En revanche, sur les dépenses d’assistance (APL, RSA…), il y a un effort à proposer aux Français.
En contrepartie de cet effort pour retrouver de la compétitivité, l’État doit être plus combatif pour défendre l’appareil productif, nos usines, nos emplois parce qu’il n’y a de richesse que produite! Et plus actif dans le grand chantier de la régulation mondiale. Le « repli national » serait contraire à nos intérêts économiques, c’est par l’exportation qu’une nation s’enrichit. Mais la protection, l’attachement à l’ordre aussi dans le domaine économique sont au cœur de l’ADN de la droite.
Pourquoi avoir dédié votre livre à « ceux qui ne sont rien » ?
En écho à cette phrase terrible d’Emmanuel Macron… Georges Pompidou concluait Le Nœud gordien en écrivant que « la République ne doit pas être celle des technocrates (…) mais celle des politiques au sens vrai du terme, ceux pour qui les problèmes humains l’emportent sur tous les autres, ceux qui ont de ces problèmes une connaissance concrète, née d’un contact avec les hommes, non d’une analyse abstraite ». L’ultime trahison d’un dirigeant politique, c’est d’oublier qu’il est là pour protéger ses compatriotes, à commencer par les plus modestes.
>> Lire l’interview sur LeFigaro.fr
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Source: Actualités LR

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