Aurélien Pradié : « Le revenu vital mérite d’être regardé, y compris par la droite »

Un revenu universel pour les jeunes, 50 000 euros de patrimoine garanti par l’Etat… Le secrétaire général de LR, Aurélien Pradié, veut que la droite s’empare de la question sociale.
La crise sanitaire que provoque le Covid-19 n’est pas encore terminée que, déjà, on observe les effets d’une crise économique et sociale en France. Danone a annoncé un plan social, IBM envisage la suppression d’un quart de ses effectifs dans l’Hexagone et un million de Français sont tombés dans la pauvreté, selon plusieurs associations. La question sociale va-t-elle devenir aussi importante que la question sanitaire ?
Ma conviction est que la question sociale va devenir un sujet absolument central pour notre démocratie. Il ne fait pas de doute que la crise qui arrive sera incroyablement plus violente que la crise sanitaire que nous vivons. Il faut être lucide, ce sera une hécatombe. Je pourrais ne pas le dire. Mais si nous voulons espérer être à la hauteur, il faut regarder la réalité en face. Ce sujet renvoie à la place de chacun dans notre société, des plus modestes aux plus favorisés. Il renvoie aussi à notre histoire : notre Nation s’est construite sur un goût passionné de lutte contre les inégalités et les injustices. Parmi les plus grandes fiertés de notre pays, il y a ses conquêtes sociales, qui révèlent ce que nous avons de plus français et de plus universel aux yeux du monde.
En 2017, le candidat de votre parti, François Fillon, voulait réduire drastiquement les dépenses publiques et l’ancien président de LR, Laurent Wauquiez, promettait la fin du « cancer de l’assistanat »… La droite peut-elle être audible sur ce sujet ?
J’en suis convaincu. Elle le peut et elle le doit. Depuis quelques années la droite a parfois cru que les questions économiques et identitaires étaient l’alpha et l’oméga, en se disant peut-être que les questions sociales n’étaient que des conséquences des premières. Or si la question sociale est dans l’ADN de la France, elle l’est aussi dans celui de la droite. La droite française a mené de beaux combats, en faveur du handicap, des violences conjugales, du mérite. Dans ces batailles, la droite a su être une espérance, et pas une punition aux yeux de nos concitoyens.
Au-delà, c’est un sujet pour tous les politiques. Cela fait des décennies qu’ils n’ont pas porté de grande conquête sociale. Si nous perdons le sens des grandes batailles, nous prenons le risque de mourir. Ce défi des injustices sociales peut être une nouvelle épopée. Quand Jacques Chirac et Xavier Emmanuelli construisent ensemble le projet du Samu social, ils ont ce goût pour les grands combats.
Quand l’Abbé Pierre porte son message sur les sans-abris, il s’agit d’un message éminemment politique qui vivifie le courage d’agir, l’idéal et le refus de la fatalité. Trois ingrédients qui ne circulent plus dans les veines de nos dirigeants.
Ce sont des combats qui ont eu lieu il y a plus de 25 ans…
En effet, et cela nous semble une éternité. Presque une autre époque : celle durant laquelle la politique avait encore un sens. Depuis nous avons lentement mais sûrement sombré dans une forme « d’administration politique ». Sans chair, seulement faite d’os et de tableaux Excel. Les Français se sont comme résolus à l’impuissance des politiques lorsque 300 000 personnes sont déclarées sans domicile fixe – c’est une honte – que 8 millions de gens ont besoin de l’aide alimentaire dans un des pays les plus riches du monde. Nos concitoyens voient bien que quelque chose ne tourne pas rond mais ils ne croient plus que le politique veuille et puisse changer les choses. C’est une résignation dramatique. Progressivement nous sommes devenus des gestionnaires de la misère et plus du tout ses combattants. Je le redis : ce qui fonde le cœur même de l’engagement politique, c’est la lutte contre les injustices. Emmanuel Macron est l’in- carnation parfaite de cette gestion de la fatalité. Il considère que ces injustices qui ne cessent de se creuser sont une conséquence incorrigible du modèle économique et mondialisé que nous connaissons. Aujourd’hui et demain, pour être à la hauteur, il faudra avoir le courage de tout réinterroger. Les fous sont ceux qui ne se posent plus de questions. Les lucides sont ceux qui prendront le risque de toutes les poser. A commencer par le sens de notre modèle économique.
« Réinterroger le sens du modèle économique » ? Que voulez-vous dire ?
Durant les Trente Glorieuses, une grande majorité de Français pouvait mesurer concrètement ce que le modèle économique lui apportait, en modernité, en confort, en progression dans l’échelle sociale. Or depuis cette époque-là, combien de nos concitoyens peuvent mesurer l’émancipation individuelle et collective que leur aurait permis notre modèle économique ? La réalité est que nous fabriquons désormais des injustices plus que nous ne permettons l’émancipation. Nous fabriquons des écarts de salaires constatés par tous nos experts économistes, de plus en plus insupportables. Une misère que nous ne pouvons pas ignorer, des absurdités auxquelles le politique n’a pas le droit de s’habituer. Quand nous en arrivons à un tel niveau d’aberration, le rôle du politique n’est-il pas de mettre les pieds dans le plat ? Le niveau de fracturation sociale, l’explosion des injustices, de la misère… sont des poisons pour notre démocratie.
Que préconisez-vous ?
Voilà des mois que je travaille sur ce sujet, en allant au fond des choses. Autour de Christian Jacob, nous le faisons aussi au sein des Républicains. Je me suis forgé une conviction : quand les injustices sont si profondes, les propositions doivent l’être aussi. Ma mission de député n’est pas d’être timide dans les idées. Les propositions que je vais vous faire vont peut-être perturber. Mais je pense que c’est aussi comme cela que l’on sort de l’ornière et que l’on avance, courageusement. Je vous fais un aveu : j’ai sûrement une forme de naïveté, et j’essaie, chaque matin, de ne pas la perdre.
Donc, que proposez-vous concrètement ?
La prochaine guerre qui nous attend est la guerre contre la misère.
Nous devons lui opposer un bouclier. Au regard de l’hécatombe sociale qui se profile, il n’est plus temps de mesures d’ajustement, mais bien le temps des révolutionnaires. Il y a une expression qui dit « l’époque est tellement perturbée que ce n’est plus le moment de fabriquer des limaces, c’est le moment de fabriquer des pirates ». C’est un peu simple, mais j’y crois. Le premier sujet à mes yeux, c’est l’alimentation. Depuis le début de cette crise, près de 8 millions de nos concitoyens ont besoin de l’aide alimentaire. Dans le même temps, 12 millions de produits alimentaires sont détruits chaque année. Ce seul constat doit nous pousser à être audacieux. Comme mesure d’urgence, je propose que notre pays se dote dans les trois mois d’un Fonds national de soutien à l’aide alimentaire. Des accompagnements existent mais ils sont dispersés. En parallèle du Fonds européen – dont le soutien est important mais en danger – il faut un Fonds national, capable de faire de l’accès à l’alimentation pour les plus démunis une priorité nationale. Que ce fonds-là soit doté de tous les moyens de l’Etat, augmentés de 30 %, et qu’il soit délégué en gestion à tous les départements de France, qui agiront avec les associations de terrain, au plus près des besoins vitaux. Arrêtons la complexité administrative sur un tel sujet. Comme dans une situation de guerre, il faut pouvoir aider directement ceux qui en ont le plus besoin. Ce fonds doit être pourvu par le budget de la Nation, et complété avec de nouvelles ressources. Aujourd’hui, les entreprises qui se soustraient à l’obligation de ne pas détruire les denrées invendues s’exposent à une amende qui peut atteindre jusqu’à 0,1 % de leur chiffre d’affaires. C’est totalement in- suffisant. Je propose que cette amende soit portée à 20 %. L’objectif est bien que les produits soient redistribués à celles et ceux qui n’ont pas accès à l’alimentation, plutôt que détruits. Je ne crois pas à de nouvelles taxations de nos entreprises. En
revanche je crois en leur exemplarité. Quand 8 millions de nos concitoyens n’ont pas de quoi se nourrir, tout doit être fait pour que des produits alimentaires ne soient pas détruits.
C’est une mesure d’urgence. N’y a-t-il rien à faire sur le moyen et long terme ?
Il n’y a pas que la question alimentaire même si elle est majeure. Beaucoup de Français ont des difficultés pour acheter des produits d’hygiène, et particulièrement les femmes, comme me l’expliquaient récemment les acteurs d’Emmaüs. Lorsque vous en êtes à compter à l’euro près pour manger, vous faites bien souvent l’impasse sur ces produits d’hygiène pourtant fondamentaux. C’est pourquoi il faut reposer la question de la sécurisation des prix d’un millier de produits dits de « première nécessité ». La dernière fois que j’ai fait cette proposition, on m’a accusé d’être un affreux soviétique et de vouloir « bloquer » les prix. Parfois la caricature évite d’avoir à réfléchir. Alors je le redis : il est tout à fait conciliable de sécuriser des prix et de laisser le marché fonctionner librement. Il doit être possible d’enclencher une réflexion avec les distributeurs. Pour ce qui est du long terme, en l’espace de deux générations, les Français ont divisé par deux leur part de dépenses liées à l’alimentaire. Ce n’était plus la priorité. Le premier et le second confinement nous ont amenés à changer nos habitudes de dépenses, de manière contrainte certes, en consacrant davantage à l’alimentation. C’est une bonne nouvelle économique, parce que cela réinjecte de l’argent dans un marché qui en a besoin et qui potentiellement peut être un marché national. Surtout, la dépense alimentaire est une dépense de dignité. Dans ce sens, l’alimentation devrait redevenir un des principaux budgets de dépense. Sans aller jusqu’à contraindre nos concitoyens, pourquoi ne pas réfléchir à une forme de bonification de la dépense alimentaire, une me- sure incitative, positive ? Imaginons que sur l’allocation la plus universelle que perçoivent les Français, l’allocation familiale, nous leur offrions deux possibilités. La première, percevoir 100 % de leur allocation et la dépenser comme ils le souhaitent. La seconde, n’en percevoir que 90 %, et s’engager à dépenser les 10 % restant dans l’alimentation, sachant qu’ils seraient doublés grâce à l’Etat. Ces 20 % pourraient permettre d’acheter des produits frais en circuits courts, de fabrication française. On peut rapidement évaluer à près de 200 millions d’euros annuels, pour plus de 5 millions de foyers potentielle- ment bénéficiaires, la dépense ainsi opportunément réinjectée dans l’économie agricole et agroalimentaire nationale.
Comment voulez-vous financer cela ?
Ce que je propose, ce sont des investissements, des outils de relance économique, par la consommation. D’autres pays européens ont développé des chèques alimentaires. A Taïwan, il existe des chèques de consommation. Il n’y a rien de dingue dans ces propositions. A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles.
Que faire pour empêcher des Français de basculer dans la pauvreté ?
Ce basculement, il se fait assez souvent par l’accumulation d’accidents de parcours. Prenons un sujet qui va vous sembler un détail mais qui n’en est pas un : les frais d’incidents bancaires. Les centaines d’euros prélevés lorsque la précarité arrive peuvent faire basculer dans la pauvreté. Il faut agir sur toutes ces marches qui font perdre pied. Je propose donc que durant l’année qui vient, les frais bancaires soient plafonnés à 25 euros par mois, et qu’aucune banque ne puisse aller au-delà. Personne ne gagne à voir exploser la pauvreté, pas même les banques.
Un des enjeux majeurs, face à la pauvreté, et pour les classes populaires, c’est la mobilité sociale. Or l’ascenseur est en panne. A gauche, l’idée d’un revenu universel fait encore son chemin. Et à droite, que proposez-vous ?
La question de l’ascenseur social doit habiter matin, midi et soir la conscience de la droite républicaine. La mobilité sociale, cette idée que l’on peut sortir de sa condition pour s’élever, est une idée qui correspond à celle de la méritocratie que porte la droite. Le problème c’est que la reproduction sociale n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui, sans parler du déclassement qui touche ou menace également de trop nombreux Français. Nous n’avons pas le droit de nous résigner. Pour ma part je pense que le sujet d’un revenu vital mérite d’être regardé, y compris par la droite. Nous gagnerions à faire en sorte que dès ses 18 ans, tout jeune Français, quelle que soit sa situation sociale, bénéficie automatiquement d’un revenu universel vital. Un revenu qui se substituerait à tous les autres dispositifs, à l’exception importante des dispositifs d’accompagnement des inégalités de la vie, comme les aides aux personnes handicapées. Cette piste permettrait de clarifier les méandres des différents dispositifs d’aides sociales qui existent aujourd’hui, et qui nourrissent une forme de défiance entre ceux qui en bénéficient et les autres. En outre le nombre de citoyens qui vivent sous le seuil de pauvreté a atteint des sommets insupportables.
A combien chiffrez-vous ce revenu universel vital ?
Un revenu vital correspondant à 40 % du revenu médian en France me paraît une piste à étudier. Mais avant de fixer un montant, nous devons travailler sur le sujet [Avec un revenu médian de 1 789 euros actuellement, cela ferait un revenu universel vital de 715,60 euros]. Cependant je mettrais une condition simple au versement de ce revenu : le dispositif s’activerait après avoir consacré deux mois de sa vie à l’utilité sociale. Il s’agirait, à 18 ans, et pendant deux mois, de travailler dans une association, une collectivité, pour l’intérêt général. J’y vois l’occasion de permettre à chacun d’avoir une chance d’avancer dans la vie, mais aussi l’opportunité de recréer un lien avec la Nation. En cela, c’est une vision qui se distingue de celle de la gauche. Ayons conscience qu’un tel revenu vital ne peut exister que si toute l’échelle des salaires est repensée. Le travail devra toujours être plus rémunérateur. C’est aussi une conviction : nous n’échapperons pas à repenser la construction et les niveaux des salaires en France, selon l’utilité de chaque métier, selon un mécanisme de participation qui, à mon sens, est plus moderne que jamais. Au-delà du sujet du revenu vital, il y a celui de l’accès aux prêts bancaires, qui conditionne trop souvent, pour un jeune, un projet de vie. Cet accès est de plus en plus difficile pour les jeunes issus des milieux défavorisés. Tout jeune Français de 25 ans, qu’importe d’où il vient, qui a un projet professionnel, devrait pouvoir le mener, en étant assuré d’avoir accès à 50 000 euros d’investissement personnel de réussite via un prêt bancaire, dont l’Etat serait garant. Ce serait une bonne manière de reconstruire une génération audacieuse.
Ces propositions sont-elles bien dans l’ADN de la droite ?
Oui, elles le sont. Lorsque Geneviève de Gaulle, présidente d’ATD-Quart Monde, soutient une loi d’orientation contre la grande pauvreté en 1998, elle le fait sous Jacques Chirac. Lorsque Jean-Louis Borloo et Jean-Christophe Lagarde portent la loi contre le surendettement, c’est la droite. Le Samu Social, c’est encore la droite. Et quand la droite s’intéresse à la question sociale, elle renoue avec sa propre histoire. Elle redevient un espoir. Une indignation conquérante. Cette droite est celle qui m’a poussé à m’engager un jour en politique. Je crois aussi que c’est celle que les Français ont aimée, peut-être un peu perdue de vue durant quelques parenthèses, mais qu’ils espèrent retrouver.
>> Lire l’interview sur NouvelObs.com
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Source: Actualités LR

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