Eric Woerth : « Il ne faut pas que le chômage partiel se retourne contre l’intérêt du pays »

L’ancien ministre du Budget et du Travail prépare pour LR un projet de plan de relance pour l’économie française. Contrairement à Bruno Le Maire, il estime que celui-ci ne peut attendre et doit soutenir dès maintenant la reprise du travail des entreprises. Cela passe notamment par un accompagnement financier de la sortie du chômage partiel. Au total, Eric Woerth estime que l’exécutif devrait mobiliser une enveloppe équivalente à 10 % du PIB.
Bruno Le Maire estime que le plan de relance ne doit pas intervenir avant septembre ou octobre. Jugez-vous cette échéance trop lointaine ?
Il faut aller plus vite , c’est indéniable. Le premier plan de relance nécessaire, c’est déjà de rétablir la confiance. Elle est mise à mal par les ordres et les contre-ordres technocratiques qu’on entend sur le déconfinement . Dès lundi, il faudra soutenir le retour au travail des entreprises sans attendre. Temporiser serait dangereux pour la viabilité de la reprise. Et ce d’autant plus que l’économie française a été la plus touchée en Europe par la crise, qui a été abordée dans une situation de faiblesse relative, avec des finances publiques et une situation du marché du travail plus dégradées qu’ailleurs.
Ce coup de frein plus prononcé en France peut-il s’expliquer par certains dispositifs mis en place par le gouvernement, comme le chômage partiel, plus généreux que dans d’autres pays d’Europe ?
Ce dispositif de chômage partiel est une bonne chose et il a sans doute facilité le confinement des Français. Mais il ne faut pas que cela se retourne contre l’intérêt national. Celui-ci passe par le retour des Français au travail. Faisons attention à ce que ce chômage partiel ne se transforme pas en trappe à chômage réel. On sent parfois la tentation pour certaines entreprises de se reposer sur ce dispositif, tandis que certains salariés pourraient vouloir retarder leur retour au travail tant qu’on n’aurait pas atteint un risque zéro. Mais le risque zéro n’existe pas, au contraire du risque social. Si le chômage partiel est un filet de sécurité, la reprise ne doit pas se prendre dans les mailles du filet.
Que préconisez-vous pour le plan de relance ?
Il faut consacrer une enveloppe budgétaire conséquente, à hauteur de la crise sans précédent que nous traversons. Le plan de soutien du gouvernement représente 110 milliards d’euros, et il sera sans doute nécessaire d’en consacrer autant à la relance pour atteindre, au total, une somme équivalente à 10 % du PIB, qui me semble être un bon ordre de grandeur.
A quoi ces sommes doivent-elles être utilisées ?
Ce plan doit notamment servir à financer la reprise de l’emploi. Je propose ainsi qu’on réduise progressivement la couverture du chômage partiel et qu’en contrepartie, on allège puissamment pendant plusieurs mois les charges patronales. Cela doit permettre un retour massif au travail de personnes en chômage partiel.
Il faut également impérativement un dispositif spécifique pour les jeunes qui vont arriver sur le marché du travail et ne doivent pas être une génération sacrifiée. On pourrait imaginer un dispositif « zéro charges » employeur pendant deux ans pour les jeunes diplômés.
Comment faire pour relancer une consommation atone ?
Plusieurs leviers peuvent être actionnés, dont certains ne coûtent pas d’argent. C’est notamment le cas de l’ouverture des magasins le dimanche, qui permettrait aux commerçants de rattraper une partie du temps perdu. Un assouplissement des périodes de soldes pourrait aussi être utile.
Par ailleurs, on peut recourir à de l’argent public pour stimuler la consommation dans des secteurs sinistrés. Je pense à des systèmes déjà utilisés, comme la prime à la casse ou à la conversion pour la filière automobile, avec des critères environnementaux. Une baisse de TVA ciblée me paraît également nécessaire, pour l’hôtellerie ou la restauration. Cela ne fera pas baisser les prix, mais leur permettra d’amortir le choc en grossissant leurs marges. Enfin, pourquoi ne pas expérimenter des coupons de réduction distribués par l’Etat ou les collectivités locales, en faveur de secteurs spécifiques ?
Le plan de relance doit-il également être un plan sur l’offre ?
Cette crise est inédite en cela qu’elle touche aussi bien l’offre que la demande. Le soutien à la production doit s’organiser à travers des apports en capital (fonds propres ou quasi fonds propres) réalisés par l’Etat et les régions en faveur des petites entreprises. Ce serait une aide ponctuelle, l’Etat ayant vocation à en sortir. Il faut également aller beaucoup plus loin sur l’annulation des charges sociales et fiscales. Le gouvernement s’est refusé pendant des semaines à le confirmer, rajoutant de l’incertitude pour les entreprises à un moment où elles n’en avaient pas besoin. Il est en train de changer de pied , mais un peu tard. Il faut aller beaucoup plus loin, et élargir ces annulations à toutes les entreprises qui ont perdu de 50 à 70 % de leur activité pendant le confinement.
La baisse des impôts de production s’impose-t-elle dans ce contexte ?
Leur suppression ne va pas se faire du jour au lendemain. Mais il faut exposer une stratégie claire qui trace un chemin pour une réduction progressive de ces impôts , notamment dans l’industrie. L’Etat doit définir un calendrier et une méthode pour aboutir à cet objectif, en concertation avec les collectivités locales.
Pour faciliter la reprise, faut-il alléger les contraintes environnementales ?
Ce ne sont pas des contraintes, ce sont des impératifs. Il faut s’appuyer sur ces impératifs pour en faire des forces. La rénovation thermique des bâtiments ou la transformation du parc automobile sont des formules qui ont bien marché et qui ont un potentiel gigantesque. De ce point de vue, la crise est une chance.
Faut-il favoriser la démondialisation ?
Il ne faut pas jeter la mondialisation avec l’eau du bain. Le repli sur soi serait la pire des choses et on ne peut pas lutter contre des crises mondiales sans une approche mondiale. Mais s’il faut continuer à raisonner global, il faut le faire autrement. Il faut consommer sans doute différemment et produire sans doute différemment. Il y a trois mois, robotiser et numériser davantage notre économie étaient perçus comme une crainte pour l’emploi. Aujourd’hui, ce peut être une voie d’avenir pour permettre de relocaliser un certain nombre d’entreprises. C’est le moment de rattraper le temps perdu, en favorisant l’investissement par des mécanismes de suramortissement très efficaces.
Les Français devront-ils travailler plus ?
C’est un débat polémique. Mais si l’on veut financer notre modèle social, il faut faire en sorte que la France accumule globalement plus d’heures de travail. C’est une réorganisation générale, pas seulement la question de la semaine ou de la journée. Cette crise, que nous avons abordée avec un chômage de masse, le montre : on rentre trop tard sur le marché du travail et on en sort trop tôt. D’une certaine manière, d’ailleurs, les grands pays qui affichaient une puissance économique et financière plus grande résistent mieux à ce virus. Ils ont développé plus d’« anticorps » et sont plus résistants.
Comment financeriez-vous votre plan de relance ?
Une partie des dettes peut rester longtemps dans le bilan des banques centrales. Et si les Etats doivent évidemment les rembourser, cela doit d’abord être absorbé par beaucoup d’activité réelle et un peu d’inflation. La seule solution, pour ne pas aller vers d’énormes bulles qui finiront par éclater, c’est de produire et de consommer. A 10 % de récession, on ne peut pas rester les deux pieds dans le même sabot : il faut bouger pour éviter de mourir. Toute journée perdue est potentiellement créatrice de chômage supplémentaire. Mais sincèrement, il serait plus coûteux de ne rien faire : la dépense de relance est vertueuse car elle est un accélérateur de reprise.
Peut-on réellement éviter des hausses d’impôts ?
Pour moi, augmenter les impôts est une option interdite. Nous l’avons essayé en 2010 et ça n’a pas marché. La France est déjà le pays le plus fiscalisé de la planète et je ne suis pas très fier de ce titre-là de champion du monde. Je crois, au contraire, à l’augmentation des recettes fiscales par l’activité, pas par le concours Lépine des nouveaux impôts et des taux. Cette crise, c’est aussi savoir alléger le fardeau bureaucratique car il crée de la dépense et entrave la création de richesses…
Vous avez voté le plan de déconfinement. Regrettez-vous la position de votre parti, qui s’est abstenu ?
En votant comme cela, j’ai voulu montrer que j’étais sans ambiguïté pour le principe du déconfinement à partir du 11 mai. Cela me donne une grande liberté pour contester les modalités de mise en oeuvre souvent trop administratives parfois contradictoires et déresponsabilisantes. La saga des masques et des tests laisse un goût amer, les règles de déconfinement sur l’école sont d’une complexité inouïe, les modalités de reprise des transports sont très incertaines… Une telle confusion est difficilement supportable pour tout le monde et très inefficace.
A quoi attribuez-vous ces tâtonnements ?
Probablement à un manque d’expérience et à une prise en compte tardive des enjeux. L’expression du gouvernement a été souvent cacophonique plutôt que symphonique. L’affaire des masques a été symbolique de la rupture de confiance avec l’opinion. Il faut un sursaut. On ne peut pas avoir une défiance à l’égard de la parole politique plus forte qu’ailleurs et, en même temps, un pays qui redémarre moins vite et considère qu’il peut supporter une récession plus forte que d’autres pays. C’est aussi la raison pour laquelle il ne peut pas y avoir un plan de relance économique sans dimension sociale. Il faut rétablir l’égalité des chances entre les Français et entre les territoires. Chacun est responsable de lui-même, mais la méritocratie ne fonctionne que si on est à égalité quelle que soit son origine sociale.
Vous êtes critique. La droite n’a-t-elle pas aussi une part de responsabilité dans la situation de la France telle qu’elle est ?
Bien sûr. Je prends ma part puisque nous avons été au gouvernement. Mais la France s’est beaucoup réformée, c’est un grand pays qui doit le rester. Ce qui m’intéresse, c’est ce que l’on fait aujourd’hui et ce que l’on fera demain pour que cette crise soit utile, comme l’a été celle de 2008 pour accoucher, je crois, d’un monde financier plus solide et plus transparent.
>> Lire l’interview sur LesEchos.fr
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Source: Actualités LR

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