La réutilisation sociale des biens confisqués: exemple de politique écosocialiste contre le crime organisé

Le monde fait face une crise sanitaire sans précédent, depuis la grippe espagnole de 1918. Ses origines sont multiples mais elles ont un dénominateur commun: le capitalisme néolibéral et globalisé.
Or, ce sont les fondements mêmes de l’économie néolibérale mondialisée  qui ont permis l’émergence sur tous les continents d’organisations criminelles transnationales (OCT) depuis ces 40 dernières années. Dénonciation du poids de l’État providence, promotion de l’économie de marché et sa dérégulation, mondialisation des capitaux, disparition progressive du secteur public au profit du privé et du libre-échanges sont en effet autant d’éléments que les mafias ont su mettre à profit pour se développer telles de véritables multinationales du crime.
Force est aussi de constater que les mafias restent étonnamment actives et réactives malgré la pandémie actuelle et le confinement. Cela semble être à la fois le résultat de qualités d’adaptation inhérentes à la genèse de ces organisations, d’une part, et au fait de leur puissante implantation dans l’économie légale et locale, d’autre part. Dans ses communiqués l’ONU désigne ainsi le crime organisé comme l’un des problèmes les plus urgents à traiter globalement dans les prochaines années avec le réchauffement climatique et les pandémies.[1] La lutte contre ces organisations passe par le développement de pratiques sociales innovantes. Dans la cadre d’un politique écosocialiste il est de notre devoir de favoriser l’émancipation des citoyens face à toutes les formes de criminalités préjudiciables à la société, la lutte contre ces phénomènes revêt aussi un aspect social et écologique.
Une adaptation permanente du crime organisé
En quelques semaines, la pandémie de COVID-19 a transformé la vie des sociétés dans le monde, bouleversements auxquels le crime organisé n’a pas échappé. En effet, elle a certes réduit immédiatement certaines activités criminelles tout en offrant simultanément de nouvelles opportunités dont les organisations criminelles ont su se saisir. Deux rapports, un d’Europol[2] et l’autre de l’ONG “global initiative against transnational organized crime”[3] nous informe de ces évolutions. Du fait de la mobilisation des nombreuses ressources légales et illégales à leurs disposition, les organisations criminelles sont très réactives et elles s’adaptent au changement. A titre d’exemple, la mafia a su se transformer avec l’émergence du capitalisme tant dans une société de type féodal en Sicile que dans un contexte de socialisme soviétique en Russie. Elle sut également s’emparer de toutes les opportunités à différents moments de l’histoire : reconstruction de Naples suite à une épidémie de choléra en 1884 ; sauvetage des banques pendant la crise financière de 2008. [4]Ces quelques exemples nous permettent d’imaginer la mainmise de ces organisations sur nos institutions et l’ampleur de leur pouvoir vis-à-vis de tout type de crise qu’elle soit économique, politique ou sanitaire.
Les mafieux et les organisations auxquelles ils appartiennent représentent sans aucun doute les structures les mieux organisées du capitalisme contemporain. Également frappés par le confinement, ces réseaux profitent déjà de la situation. Les groupes mafieux ont ainsi rapidement saisi les opportunités que leur offre cette crise en adaptant leurs modes de fonctionnement ou en développant de nouvelles activités criminelles. On peut par exemple observer des changements dans les modalités du trafic de drogue au détail qui s’est “ubérisé” avec les livraisons à domicile. En outre, si cette pandémie a suspendu ou ralenti temporairement quelques activités (trafic, prostitution etc), elle offre de nouvelles opportunités aux organisations mafieuses. A ce titre, Interpol nous informe de situation de pillage des réserves sanitaires, d’arnaques sur Internet, de production et vente de contrefaçons de masque, gel hydroalcoolique et médicaments, de cyberattaques pour pirater les données. Cette crise leur offre aussi des opportunités pour renforcer leur légitimité et ainsi davantage s’insérer dans la société au moment de la reprise économique en offrant nourriture, travail, argent et matériel sanitaire aux plus démunis. La méthode a déjà fait ses preuves dans le passé et la mafia italienne est loin d’être la seule à l’utiliser. On assiste à des exemples de ce type un peu partout dans le monde : distribution de nourriture par le cartel du tristement célèbre « el chapo » au Mexique[5]; gangs dans les favelas qui font respecter le couvre feu au Brésil.[6]
L’infiltration de l’économie légale et le consensus social
Les organisations criminelles transnationales se préparent à la crise économique à venir pour infiltrer toujours plus l’économie légale. Face à une situation de crise de l’investissement, les spéculateurs et les organisations criminelles sont des acteurs disposants des ressources nécessaires à l’investissement. Chaque activité économique en faillite représente une opportunité pour ces organisations. Plusieurs régions en Europe ont un haut degré d’infiltration dans l’économie légale (PACA, Costa del sol..). Les secteurs où les organisations criminelles investissent le plus sont transport, agroalimentaire, santé, vêtements et commerces, c’est-à-dire des secteurs stratégiques pour répondre à la situation actuelle et à venir. Les organisations criminelles sont donc présentes dans l’économie légale et cela à différents niveaux, leurs activités vont du petit commerce de quartier à de grosses sociétés. Pour les seules mafias italiennes on estime le chiffre d’affaires annuel à 135 milliards d’euros. L’infiltration mafieuse de l’économie ne vise pas un processus de légalisation, elle exclut de l’économie, des acteurs non corrompus et instaure un pouvoir monopolistique sur le territoire. Les organisations criminelles vont tenir dans ces zones, un rôle de remplacement de l’État partout où celui ci est défaillant en créant un consensus social avec la population. Elles seront le nouveau “seigneur” de ces territoires en étant à la fois le fournisseur de travail mais aussi de nourriture, de masques, de protections etc. Cette “protection” ne se fait évidemment pas sans paiement d’une contrepartie et, à ce titre, rend la lutte contre la criminalité organisée particulièrement difficile. On ne mord pas la main de qui nous nourrit, ou en tout cas celle qui semble le faire.
L’environnement n’échappe pas au crime organisé
Les crimes environnementaux s’intègrent parfaitement au paradigme de la criminalité mafieuse alliant contrôle du territoire, transnationalité, rentabilité économique et convergence entre mafias, entreprises et administrations. On peut notamment répertorier dans ce genre d’activités criminelles le trafic du patrimoine culturel, le trafic d’animaux, le traitement des déchets et le cycle du ciment. Arrêtons nous sur ces deux derniers pour illustrer l’impact environnemental de ces trafics. Le marché des déchets s’appuie sur un modèle économique global dont la sur-consommation est le moteur. Les mafieux italiens aident de nombreuses industries du pays et d’Europe à se débarrasser de leurs déchets[7]. Ces trafics ont des conséquences écologique et sanitaire dramatiques dans les villages de San Lucas et Africo en Calabre, le nombre de cancers augmente sans cesse[8]. L’OMS dans un rapport confirme  que les taux de mortalité et de malformations sont supérieurs dans les zones où se concentrent des sites contaminés. Le cycle du ciment regroupe les constructions sans permis, l’excavation illicite de matériaux de construction, et l’infiltration des appels d’offres. On peut citer plusieurs exemples : l’infiltration mafieuse dans la construction de la LGV Lyon/Turin[9], ou encore la construction d’une gendarmerie à Menton par une entreprise appartenant à une organisation criminelle[10]. Ces crimes environnementaux sont un symbole des effets pervers de la mondialisation et un élément révélateur de la vitalité des mafias.
Les activités de ces organisations ont des conséquences importantes sur le plan sanitaire, social et écologique, comment la lutte contre ces organisations criminelles bénéficiera tant à la lutte contre le système capitaliste qu’à l’exposition de pratiques politiques écosocialistes protégeant l’environnement et la société ?
De l’usage social des biens confisqués
La lutte contre la grande criminalité est une lutte écologique et sociale. Il faut combattre ces organisations criminelles et leurs emprises sur l’économie, les territoires et la société. Un des exemples les plus réussis en terme de lutte est italien avec une loi adoptée en 1996. Cette dernière  met en place un dispositif de réutilisation sociale des biens confisqués à la mafia. L’attaque contre les patrimoines illicites des mafias se révèle être un outil indispensable de toute stratégie anti-mafia. L’instrument de confiscation des patrimoines illicites affaiblit le pouvoir économique des mafias. Cette loi rend notamment possible l’attribution de la villa du parrain sicilien Toto Riina, aux agents de la Guardia di Finanza de Corleone, et la transformation de sa bergerie en gîte rural[11]. En ne privatisant pas les biens saisis, l’État italien implique ainsi le peuple dans la lutte anti-mafia et lui offre les moyens de se réapproprier les biens communs, spoliés par les organisations mafieuses. La réanimation du collectif par le biais notamment de ces coopératives, de ces associations, l’ouverture d’écoles dans des biens confisqués est un moteur puissant permettant de remettre les citoyens au cœur de ce combat et d’ouvrir des perspectives d’avenir. Cela permet aussi de faire évoluer les consciences et attitudes de populations imprégnées par le consensus social mafieux. La confiscation rend légitime l’autorité de l’État auprès des populations et les mafieux souffrent de la confiscation car c’est le prestige et l’autorité sur leurs territoires qui sont ici attaqués. A ce titre, la lutte contre les phénomènes mafieux permet la mise en place d’une économie au service de l’humain respectant la règle verte et donc une application concrète et locale de l’écosocialisme. L’illustration la plus aboutie de cette redistribution sociale des biens mafieux, est le modèle issu de l’économie sociale et solidaire de la coopérative agricole. L’exemple de la coopérative Placido Rizzotto, nom d’un résistant et syndicaliste assassiné par la mafia, en est représentatif. Cette coopérative cultive des terres confisquées à la mafia. Elle produit en agriculture biologique légumes, fruits et vins tout en étant porteuse d’un projet d’insertion sociale en proposant formation et emploi[12]. Ces coopératives articulent la dimension politique de leurs revendications, liées à la lutte contre la mafia, à l’action plus facile que pour une entreprise de production de biens et de services dans le but de transformer le territoire. Ces exemples de réutilisation sociale permettent la mise en valeur des terres, génère des résultats économiquement mesurables et manifeste un fort pouvoir symbolique.
En France, Sarah El Haily, députée, est à l’origine d’une proposition de loi en 2019 visant l’amélioration de la trésorerie des associations qui contient un article qui concerne directement la lutte contre les organisations mafieuses. L’article 4 de cette loi vise à rendre possible l’utilisation des biens mal acquis au bénéfice d’associations. Ainsi, le dispositif prévoit que l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués soit en capacité de mettre à disposition des biens immobiliers confisqués à des fins de réutilisation sociale au profit d’associations reconnues d’intérêt général ou à des entreprises solidaires d’utilité sociale agréées[13]. Cela permettrait la réutilisation des biens immobiliers confisqués par des associations d’intérêt public ou des entreprises solidaires sur le modèle de ce qui se fait déjà en Italie. Son adoption dans la loi française devrait contribuer à la lutte contre la criminalité organisée. La France n’étant pas épargnée par le crime organisé tant par des organisations criminelles actives sur l’ensemble du territoire, que par des criminels en cols-blanc, cette loi serait un levier important qui nous permettrait par exemple de réquisitionner les biens des  évadés fiscaux, Guéant, Balkany, Cahuzac et les nombreux autres pour les mettre à disposition de tous. Il ne s’agit pas vraiment de confisquer des biens à quelques uns mais plutôt de se réapproprier un dû qui appartient au peuple. Partout, en France et ailleurs, approprions nous l’exemple italien en matière de lutte contre la criminalité organisée et entamons une réflexion écosocialiste sur ce sujet !

Simon Berger

Bibliographie:
EUROPOL, march 2020, “Pandemic profiteering how criminals exploit the COVID-19 crisis”
Global initiative against transnational organized crime, march 2020, “crime and contamination. The impact of a pandemic on organized crime”
Rajeev Syal “Drug money saved banks in global crisis, claims UN advisor”, The guardian,13 décembre 2019
Crim HALT, “L’Assemblée nationale vote pour la seconde fois l’usage social des biens confisqués” , 29 novembre 2019
ONU,  “Mafias, pandémies et changement climatique menacent la sécurité”, 23 novembre 2011,
Géraldine Meignan , « Mafia: quand l’Etat s’empare des biens du crime », L’Express, 27 fevrier 2013
Alix Hardy,“Mexique: face à l’épidémie, les cartels de la drogue versent dans le caritatif”, Le figaro, 22 avril 2020
Clotilde Bru , “Rio: des gang veillent au couvre-feu pour lutter contre le coronavirus dans les favelas” , Konbini, 23 mars 2020
Andrea barolini, “Le Lyon-Turin, un eldorado pour la mafia, affirment des parlementaires italiens”, Reporterre, 17 janvier 2014
Fabrizio Maccaglia et Marie-Anne Matard Bonucci , « Atlas des mafias : Acteurs, trafics et marchés criminels dans le monde»
France2, émission « 13h15 le samedi » consacrée à la « pieuvre calabraise »
[1]                                  ONU, 23 novembre 2011,  “Mafias, pandémies et changement climatique menacent la sécurité
[2]                                 EUROPOL, march 2020, “Pandemic profiteering how criminals exploit the COVID-19 crisis”
[3]                                 Global initiative against transnational organized crime, march 2020, “crime and contamination. The impact of a pandemic on organized crime”
[4]                                 Rajeev Syal “Drug money saved banks in global crisis, claims UN advisor”, The guardian,13 decembre 2019
[5]                                 Alix Hardy,“Mexique: face à l’épidémie, les cartels de la drogue versent dans le caritatif”, Le figaro, 22 avril 2020
[6]                                 Clotilde Bru , “Rio: des gang veillent au couvre-feu pour lutter contre le coronavirus dans les favelas” , Konbini, 23 mars 2020
[7]                                   ANGELO MASTRANDREA, .PIERRE DE GASQUET, « Le trafic de déchets ce business mafieux », Euronews, 10 mai 2017
[8]                                 « Le poisson de la mafia et la loi du silence », arte, 2019
[9]                                 Andrea barolini, “Le Lyon-Turin, un eldorado pour la mafia, affirment des parlementaires italiens”, Reporterre, 17 janvier 2014
[10]                               France2, émission « 13h15 le samedi » consacrée à la « pieuvre calabraise »
[11]                               Géraldine Meignan , « Mafia: quand l’Etat s’empare des biens du crime », L’Express, 27 fevrier 2013
[12]                               Fabrizio Maccaglia et Marie-Anne Matard Bonucci , « Atlas des mafias : Acteurs, trafics et marchés criminels dans le monde»
[13]                               Crim HALT, 29 novembre 2019, “L’Assemblée nationale vote pour la seconde fois l’usage social des biens confisqués”
Source: Actualités Parti de Gauche

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