Edito de Frédéric Viale, candidat aux élections européennes.
Ce qui se passe actuellement avec l’accord Brexit est en apparence difficilement compréhensible. Tout devrait conduire la Commission de l’Union européenne et la Grande-Bretagne à trouver un accord puisque tous deux sont dirigés par des néolibéraux. Leur grande proximité idéologique devrait les aider et pourtant on constate l’inverse. Pourquoi? Et quels sont les enseignements que nous pouvons tirer de cette séquence politique étrange?
Tentons d’y voir clair.
Premier constat : aucun des deux négociateurs ne veut du Brexit. Le Brexit est négocié par une Première ministre qui ne veut pas du Brexit avec une Commission européenne qui ne veut pas du Brexit. Tout part de là. Les deux recherchent finalement à masquer le fait qu’ils entendent bien faire que la décision de sortie soit largement annulée dans les faits. Mais il reste que les deux sont pris dans des contraintes politiques qui au final ne leur permettent pas de surmonter facilement leurs contradictions.
Les deux négociateurs ont milité ardemment contre le Brexit, ont annoncé que ce serait une catastrophe et une fois de plus, le peuple concerné ne les a pas écoutés. Alors, après 17 mois de laborieuses négociations, ils parviennent à un accord qui est une trahison du vote britannique.
Qu’on en juge.
L’accord prévoit tout d’abord une période de transition pendant laquelle la situation actuelle sera maintenue s’agissant du marché intérieur, de l’union douanière et des politiques européennes avec leurs droits et leurs obligations, et ce jusqu’au 31 décembre 2020. Cette période de transition pourra être prolongée une fois, jusqu’à une date limitée dans le temps, mais qui n’a pas été précisée. Ce dernier point est capital : sortie ou pas sortie?
Le Royaume-Uni devra par ailleurs s’acquitter de ses engagements financiers auprès de l’UE, pour la période 2014-2020. Si le montant de la facture n’a pas été annoncé, Londres estime qu’il se situera entre 40 et 45 milliards d’euros.
Finalement, ce qui serait mis en place est un vaste accord de libre-échange entre l’UE et la Grande-Bretagne qui garantirait aux deux parties l’accès au marché à l’autre. Le seule différence serait que la Grande-Bretagne ne serait plus contrainte à l’harmonisation du marché intérieur, c’est-à-dire aux contraintes réglementaires bruxelloises (sauf le cas particulier de l’Irlande du Nord). Quant aux migrations, que le gouvernement dit vouloir contrôler davantage, notons qu’à aucun moment celui-ci n’a consenti à renoncer à quoi que ce soit là-dessus dans le passé, la Grande-Bretagne ne faisant pas partie de l’espace Schengen. Ce qui ne change pas non plus, c’est l’accès aux financiers du monde entier et donc européens à la City de Londres, garanti par l’accord.
Période de transition floue, pas de sortie réelle, acquittement d’un droit de sortie exorbitant, on peut comprendre que certains militants du Brexit estiment être cocus. En revanche, le fait que le libre-échange soit assuré entre les deux ne semble pas troubler grand monde dans le pays de Margaret Thatcher et du TINA (There is no alternative – il n’y a pas d’alternative).
Mais il y un os, plusieurs en fait, que les acteurs de ce qui ressemble à une farce ne parviennent pas à avaler.
Contradictions internes, incohérences, hypocrisie : le grand jeu (de dupes)
Premier niveau de contradictions : la Commission européenne. Modelée d’idéologie néolibérale tout comme le gouvernement britannique, elle pourrait trouver avec celui-ci un accord sans trop de difficultés. Alors pourquoi bloque-t-elle ? La Commission est devant un constat : depuis 2005, à chaque fois qu’un peuple est sollicité pour donner son avis sur l’Union européenne, le vote est hostile. La liste est longue et le vote du peuple britannique n’est pas intervenu comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu. Il a été précédé par ceux de la France, de l’Irlande, des Pays-Bas. Même si jamais la Commission ne le dit, il n’est pas absurde de formuler l’idée que la Commission ne peut accepter de laisser courir l’idée qu’il est facile de sortir de l’UE. D’autant que cette idée est désormais présente partout. Les Britanniques ont voulu sortir, qu’ils en paient le prix.
Et puis, la Commission a pour mission de travailler à l’approfondissement du marché intérieur. La Grande-Bretagne a systématiquement pratiqué l’opt-out, s’affranchissant de certaines des règles les plus importantes, et maintenant, elle prétend obtenir finalement l’accès aux marchés du continent sans avoir à se plier aux règles communes. Même pour les néolibéraux de la Commission, on peut comprendre que la coupe est pleine.
De surcroît, et contrairement à une légende entretenue par les euro-béats, la solidarité n’existant pas au sein de l’Union européenne, on constate aussi que certains États membres souhaitent « profiter » du Brexit pour tenter de récupérer sur leur territoire certaines activités de l’industrie financière britannique. Certains élus l’ont exprimé, parfois naïvement, comme la Maire de Paris souhaitant attirer les banques de la City. Cela trahit une conception un peu déconnectée de la réalité économique mais cette idée est en arrière-pensée des négociations, la Commission tenant évidemment compte des desiderata des États membres les plus influents.
Enfin, l’échiquier britannique est compliqué. Le Royaume-Uni est tout sauf uni. De nombreux élus politiques écossais voient là l’occasion de tailler des croupières à l’Angleterre afin de tenter de régler un contentieux vieux de plusieurs siècles après qu’ils aient si souvent échoué à obtenir l’indépendance. Les Irlandais du Nord ne veulent rien entendre qui changerait leur pré-carré.
Au sein des partis politiques de Londres, la situation n’est pas tellement plus claire : entre des Conservateurs travaillés par leur nationalisme et qui n’acceptent pas ce qu’ils estiment être des concessions de la Première ministre et ceux des Conservateurs qui ne veulent pas de la sortie de l’UE car pour eux la présence dans l’UE est l’occasion pour les intérêts financiers et marchands qu’ils défendent de faire beaucoup de profits, le parti de la Première ministre est éclaté. Sauf sur un point : les parlementaires ne veulent à aucun prix de dissolution qui les ferait retourner devant les électeurs dans les pires conditions. Et ainsi, ils sabrent le projet porté par la Première ministre puis, tranquillement, la maintiennent en poste.
Pour les Travaillistes, c’est la corde raide. De nombreux travaillistes n’en peuvent plus des politiques libérales et ont enfin réussi à se débarrasser de leur direction pro-thatchèrienne incarnée par Blair et ses suiveurs en portant à la tête du parti Jeremy Corbyn. Ils sont eux-mêmes divisés sur la portée du Brexit concernant leur capacité à mener des politiques alternatives s’ils devaient accéder au pouvoir. Certains travaillistes considèrent que l’UE porte des garanties sociales. Cela peut nous paraître sidérant, mais la Grande-Bretagne a tellement plongé dans la régression sociale avec ses contrats de travail zéro heure et l’opt-out social qu’à côté, l’UE peut sembler le paradis de la protection du travailleur. Nous devons nous pincer pour le croire mais c’est ainsi : avec sa directive travailleurs détachés, celle sur le temps de travail maximal (48 heures par semaine et jusqu’à 62), l’UE fait mieux que la Grande-Bretagne. Ceux-là ne veulent pas vraiment du Brexit. Enfin, certains travaillistes, effarés de la tournure xénophobe de certains arguments pro-Brexit ont opté pour le remain. Tous trouvent politiquement difficile de revenir sur un vote populaire. Corbyn joue avec cela au fil-de-fériste, sport élégant mais où la chute n’est pas rare.
La suite ?
A très court terme, la Première ministre doit présenter un plan B dans les trois jours. Mission quasi-impossible mais dans la mise en scène du psychodrame actuel, il n’est pas inenvisageable qu’elle en sorte un un peu semblable mais mieux emballé et qui serait finalement accepté par des parlementaires qui ne voudraient pas aller plus loin.
Le 29 mars au soir, la Grande-Bretagne sort de l’UE, la Commission vient de le répéter aujourd’hui même. Brexit sans accord, Brexit avec accord, négociation d’un nouveau report (qui devra être validé par les 27 États membres) tout est possible. Tout dépendra de savoir jusqu’où les protagonistes de la comédie qui se joue actuellement voudront aller. Les conséquences en seraient variées.
Pas de conséquence pour le déplacement des personnes : d’ores et déjà, les ressortissants de la Grande-Bretagne seront dispensés de visas pour entrer et la réciproque est vraie. L’établissement des travailleurs salariés retournerait au droit commun, c’est-à-dire au droit existant auparavant où cet établissement était soumis à certaines conditions administratives.
Les compagnies aériennes britanniques ne bénéficieraient plus de l’accord open sky (comme on dit en patois) en cas de Brexit dur : elles pourront traverser la Manche, atterrir sur le continent mais ne pourront plus opérer des vols intérieurs à l’UE dans les mêmes conditions qu’auparavant. D’autres compagnies en profiteront. Le commerce international se poursuivra, mais sous le régime de l’OMC – ce qui ne porte pas de restrictions extraordinaires. Pour les mouvements des capitaux, les choses sont plus incertaines : normalement, l’UE pourrait les réguler. Le fera-t-elle et sur quelle base ? Il faut attendre de voir comment les choses se traduiront en réalité. Sinon, le gouvernement français a prévu de dépenser cinquante millions pour créer des parking supplémentaires dans les ports et quelques postes de douaniers. La modestie de la somme engagée montre bien que le cataclysme annoncé ne se produira pas. Certains containers attendront peut-être un peu plus, peut-être aussi certains camions, mais il n’y a pas de quoi en écrire une thèse.
Quels enseignements ?
Les citoyens et citoyennes que nous sommes doivent tirer les leçons de cet épisode.
1- La Commission européenne confirme qu’elle ne sait, ne peut, ni ne veut négocier. Elle est soumise à des impératifs idéologiques si puissants qu’elle ne sait faire preuve d’aucune souplesse. On peut sans risque affirmer que ce qui lui importe essentiellement dans cette négociation Brexit c’est d’imposer un accord qui se voudrait punitif pour ne pas donner l’exemple à ceux des autres peuples qui pourraient être taraudés par l’idée de la quitter ;
2- Le Brexit est une sortie néolibérale de l’Union européenne, et donc la pire envisageable. Cela confirme que sortir de l’UE pour sortir de l’UE n’est pas un programme. Car dans cette affaire, une seule certitude demeure : avant comme après, les Britanniques subiront la même politique néolibérale, au moins aussi féroce, voire pire. L’important consiste bien pour nous à se fixer des objectifs politiques et sociaux de justice sociale, environnementale et fiscale, et de les appliquer. Dès lors que, ces objectifs étant fixés, l’UE est un obstacle, il faut la combattre comme telle ;
3- Instaurer un rapport de forces est la condition nécessaire au changement. L’UE est obstacle au changement, il faut instaurer avec elle un rapport de forces et ne pas imaginer que la négociation soit réellement possible avec l’UE telle qu’elle est.
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Source: Actualités La France insoumise

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