L’Europe, ce n’est pas de la géographie, c’est de la politique !

Discours de Marie-Duret Pujol, candidate aux élections européennes pour la France insoumise, prononcé le 29 mars 2019 à Bordeaux-Caudéran.

Progressivement, la campagne pour les élections européennes prend forme. Plus exactement, les médias lui donnent forme, la forme qui correspond à leur vision binaire du monde. Comme chacun sait, en France, il y a les pro européens et les anti européens, les authentiques européens et les nationalistes, les partisans de l’ouverture et les repliés sur eux-mêmes. Bref, je pourrais continuer la liste des oppositions. Mais derrière cette structure simplissime, il n’y a qu’un seul constat qui est proposé. Il y a ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, ceux qui comprennent et ceux qui ne comprennent pas, ou plus, ou ceux qui ne comprennent rien. Peut-être est-il plus simple de dire : c’est l’Europe ou le chaos, ou Macron ou le national-populisme.

Cette opposition, vous allez la voir tranquillement s’installer dans le paysage médiatique, dans les éditoriaux, dans les débats. Sans surprise, comme à chaque élection européenne en France au moins depuis 2005 et le référendum que nous avons gagné en 2005, si ce n’est depuis 1992 et le référendum sur le traité de Maastricht, les différentes listes sont regroupées en deux ensembles antagonistes. Il y a les partisans de l’Europe et il y a les adversaires de l’Europe. Cette scission simpliste a bien profité en son temps à Europe Écologie les Verts en 2009. Pensez donc, ils étaient « Européens », de vrais Européens, des pro-Européens.

Cette fois encore, les médias français semblent dessiner la même scène. Progressivement, sans nullement tenir compte des programmes ou même simplement de l’actualité récente des votes au Parlement européen, ils changent la finalité du vote. Il ne s’agit plus de donner une majorité au Parlement européen (qui en parle seulement ?) mais d’affirmer son adhésion à l’Europe comme ils disent. Et le Brexit, repoussoir parfait qui sera vraisemblablement utilisé jusqu’au 26 mai, date de l’élection, est l’alibi suprême. Remarquons au passage que le Brexit constitue un exemple paradoxal.

S’agit-il de dire que quitter l’Union européenne est une erreur ? Ou s’agit-il de faire comprendre que c’est en pratique impossible ? Mais si c’est impossible de quitter l’Union européenne, pourquoi agiter en permanence le spectre de « l’éclatement de l’Europe » ?

Plus fondamentalement, si ce n’est pas possible de quitter l’Union européenne, qu’est-ce donc que l’Union européenne et sommes-nous seulement en démocratie s’il n’est possible de révoquer des traités internationaux dont l’autorité l’emporte sur les lois nationales (c’est un principe de droit et le Conseil Constitutionnel a statué que les dispositions européennes l’emportaient en valeur juridique sur les lois votées au Parlement et au Sénat français) ?

Sommes-nous dès lors condamnés, condamnés à être membre de l’Union européenne, condamnés à choisir (c’est-à-dire à ne pas choisir) : soit Macron, soit au choix Le Pen, Orban (Hongrie), Salvini (Italie), Kaczinski (prononcer Kachinski Pologne). Macron donc, c’est-à-dire l’Union européenne, la Commission et ses directives, son libéralisme, son atlantisme toute l’Union européenne et rien que l’Union européenne. Comme vous vous en doutez, je pense pas que nous soyions condamnés à voter Macron, LREM, ou à voter pour je ne sais quelle liste nationaliste. Comme ne le dit pas le proverbe, entre deux maux, je n’en choisis aucun ! Et j’appelle chacune et chacun de vous à n’en choisir aucun. Nous ne sommes pas condamnés au moindre mal, moindre certes mais mal, surtout mal. Le mal européen, nous n’y sommes pour rien, nous ne sommes pas à son origine, nous ne nous en nourrissons pas, nous ne nous en réjouissons pas. Notre famille politique a toujours combattu le nationalisme sans récuser la nation. Notre famille politique est internationaliste. Elle n’a rien à gagner d’une opposition entre nations, chacune se prétendant supérieure aux autres. La première victime qu’a toujours fait le nationalisme est l’égalité parce que les rivalités entre nations empêchent de voir les inégalités sociales à l’intérieur d’une nation. Or notre projet politique, c’est, et ce sera toujours, l’égalité. Parce que nous sommes partisans de l’égalité, nous ne pouvons être nationalistes. Sommes-nous pour autant « pour l’Europe » comme ils disent ?

Pendant longtemps, pour nombre de militants de gauche, l’Europe tenait lieu de projet politique. La construction européenne était présentée comme la solution future, toujours future, à nos maux, quels qu’ils soient.

Mondialisation ? L’Europe ! Inégalités sociales? L’Europe ! Catastrophe climatique ? L’Europe ! L’Europe, toujours l’Europe

L’Europe n’a pas réponse à tout bien sûr, mais elle est la réponse à tout. Et si jamais certains émettaient un doute, l’accusation tombait immanquablement, « tu n’es pas un vrai Européen. Moi qui suis un Européen convaincu etc. ». Cette rhétorique, vous l’entendez et vous allez l’entendre plus encore à mesure que l’échéance électorale du 26 mai va se rapprocher.

Sur la scène actuelle, je dis scène car c’est bien une comédie, sinistre, mais comédie quand même, sur la scène actuelle donc, qui sont les vrais Européens, les Européens convaincus ? Le rôle principal est tenu par La République en Marche et le président Emmanuel Macron. Tout est bon pour faire ressortir la dimension européenne de l’action du président. Dernièrement, souvenez-vous comment la rencontre avec la président chinois a été célébrée par les principaux médias. L’Europe unie (Mme Merkel, M. Junker et M. Macron, ce qui, somme toute, est une union assez restreinte) discutait avec la Chine. Unie, l’Europe, même réduite à trois individus, dont un affronte depuis bientôt 20 semaines des manifestations au cours desquelles le slogan favori est « Macron démission », signe on ne peut plus clair de sa popularité et de sa représentativité ? Unie, vraiment ? Non, l’Europe n’est pas unie ! Et que veut dire cette expression ? De quoi parlent-ils vraiment quand ils disent l’Europe et qu’ils sont « pour l’Europe » ?

Évacuons la piste géographique. L’espace géographique européen est uni et il n’a pas besoin de Macron ou de Merkel pour l’être ! Notons juste que les géographes discutent encore pour savoir où se situe la frontière de l’Europe et si l’Europe va de l’Atlantique à l’Oural comme le disait De Gaulle, alors l’Europe comprend une partie de la Russie… Unie avec la Russie ? Vraiment ? Chacun comprend que ce n’est pas de cette Europe qu’il s’agit.

« L’Europe, ce n’est pas une réalité géographique, c’est un projet politique. »

Autrement dit, celles et ceux qui se disent « Européens » affirment qu’ils et elles ont en partage un seul et même projet politique. Ce projet n’est pas abstrait, nébuleux. Il est précis, documenté. Il est facile à trouver et il a un nom : les traités européens. Nous allons y revenir. Mais au préalable, regardons ce qu’en dit la présidente de la CDU, le principal parti d’Allemagne, le parti de Mme Merkel, présidente qui s’appelle Annegrett Kramp-Karrenbauer ? Celle-ci a répondu à la tribune d’Emmanuel Macron. Alors, unie, l’Europe si la présidente du premier parti d’Allemagne éprouve le besoin de répondre à Emmanuel Macron ? Le geste même consistant à répondre est un désaveu pour le président français. Celui-ci n’incarne nullement l’Europe, ni même le projet européen. Le projet se détermine en Allemagne, c’est celui de la droite allemande. Se dire donc aujourd’hui, Européen, c’est exprimer son adhésion au projet politique de la droite allemande sanctuarisée dans les traités européens.

Ce projet, Mme Annegrett Kramp-Karrenbauer l’a décrit sans fioriture dans cette réponse à la tribune d’Emmanuel Macron. Elle parle d’abord, dans la langue de l’ordre mondial actuel, de l’european way of life… Et le décrit : « notre mode de vie européen, fait de démocratie représentative, de parlementarisme, d’État de droit, de libertés individuelles et d’économie sociale de marché ». Nous apprécions chaque jour un peu plus ce que veut dire, en réalité, la démocratie représentative, l’État de droit et les libertés individuelles. Mais reconnaissons que certaines institutions européennes n’ont pas hésité à dénoncer les décisions gouvernementales françaises concernant la gestion de la dite crise des Gilets jaunes. Même si ce n’est pas grand chose, même si la droite européenne a allégé le texte, regardons la résolution votée il y a quelques jours par le Parlement européen dans laquelle est condamné « le recours à des interventions violentes et disproportionnées par les autorités publiques lors de protestations et de manifestations pacifiques ». Certes, cette résolution est générale, nul pays n’est nommé, et elle n’est pas contraignante. Mais elle existe et elle permet à notre eurodéputé Younous Omarjee de déclarer : « Je m’inquiète pour mon pays, je m’inquiète pour les libertés en France et je m’inquiète du basculement autoritaire du président Macron ».

En votant pour la liste présentée par la France insoumise, vous renforcerez cette parole, en France et en Europe. Toutefois, reconnaissons aussi que le gouvernement n’en a cure et continue comme avant comme si de rien n’était. Je ne dirai rien ici de la Hongrie ni de la Pologne, deux pays au sujet desquels l’Europe démocratique et parlementaire, défenseure des libertés individuelles est le plus souvent silencieuse. Rien non plus des exilés qui meurent en Méditerranée ou qui croupissent dans des camps.

Quant à l’économie sociale de marché, nous savons depuis longtemps que l’ajout d’un adjectif, en l’occurrence social, ne fait pas une politique. La réalité, c’est 16 millions de chômeurs et 87 millions de pauvres. Un peu plus loin, elle donne le principe de base de cette économie si peu « sociale » et beaucoup « de marché » : Dans le marché unique européen comme ailleurs, il faut produire des richesses avant de les distribuer. Ah, la belle évidence libérale ! Non, il faut distribuer des richesses avant de les produire. Il faut des salariés éduqués, donc une dépense que nous souhaitons publique avant la recette, des salariés en bonne santé, donc une dépense que nous souhaitons publique avant la recette. Dans le marché unique européen, Mme Annegrett Kramp-Karrenbauer, nous avons la situation suivante. Des dépenses publiques fortes et des profits privés. Autrement dit, des investissements publics, collectifs, permettant une appropriation privée des profits réalisés grâce aux investissements publics. Et si j’ajoute les paradis fiscaux qui permettent aux grands groupes et aux plus riches d’échapper à la contribution collective, je peux déduire que le marché unique européen organise le capitalisme, c’est-à-dire la prédation des dominants sur les plus faibles. Sociale et de marché ? Non, capitaliste, toujours plus capitaliste, voilà ce qu’est l’Europe, une Europe de marché.

Et comme si cela ne suffisait pas, le marché unique est aussi le cadre de la mise en concurrence des individus. Là encore, Mme Annegrett Kramp-Karrenbauer parle sans fioriture : « Le centralisme européen, l’étatisme européen, la communautarisation des dettes, l’européanisation des systèmes de protection sociale et du salaire minimum seraient la mauvaise voie ». Il n’y aura pas d’harmonisation fiscale et sociale. Non seulement les salariés sont mis en concurrence (cf. les travailleurs détachés) mais ce aussi les droits sociaux qui les protègent, jusqu’au salaire minimum, qui peut et doit faire l’objet de la concurrence.

L’Europe de la paix ? Voilà la vision qu’en donne Annegrett Kramp-Karrenbauer : « au sein de l’Alliance transatlantique, nous avons érigé un mur de protection solide contre les menaces extérieures ». L’OTAN, est-ce vraiment la paix ? Et quelles menaces extérieures ? La Russie envers laquelle les États-Unis construisent patiemment un climat belliqueux ? La paix garantie par l’Europe consiste-t-elle à préparer la guerre avec la Russie, aux côtés des Américains ? Même la paix est désormais menacée par le projet européen. Voilà la réalité.

J’arrête là pour ne pas être trop longue, mais je pourrais continuer. L’essentiel, vous l’avez compris. Le débat n’oppose pas ceux et celles qui sont pour l’Europe, les pro-Européens, et celles et ceux qui seraient contre, les anti-Européens. Il y a bien sûr des opposants de principe à l’Union européenne. À cela, nous leur disons que l’opposition à ce qui est ne permet pas définir une politique. Or nous, nous voulons gouverner, y compris l’Union européenne.

Pourquoi ? Pour au moins une seule raison : parce que la protection des frontières nationales ne garantit nullement la protection de l’environnement. Il y a aussi celles et ceux qui défendent, souvent sans l’avouer sinon à mi-voix, l’ordo-libéralisme allemand et son économie sociale de marché. LREM bien sûr, les Républicains aussi. Faut-il rappeler que le programme du candidat Macron reprenait au mot près les injonctions néo-libérales de la Commission européenne ? Et Place Publique ? et Europe Écologie les Verts ? Les premiers se disent depuis leur création : « Écologiste, de gauche et pro-européen ». Pro-européen? Vous comprenez désormais ce que cela veut dire. De toute façon, les choses sont claires avec des socialistes présents sur la liste qui co-gère le parlement européen avec la droite.

Pro-Européen, c’est pro glyphosate, pro OTAN, pro directive travailleurs détachés, pro privatisation des chemins de fer, des barrages, etc. Écologiste donc et pro-glyphosate ? Place Publique, nous connaissons bien la ficelle. Elle est usée. Elle consiste à inventer, de préférence avant chaque élection qui pourrait mal tourner pour les dominants, en particulier quand les partageux que nous sommes frappent de plus en plus fort à la porte du pouvoir, un parti attrape-tout, de gôche, drapé dans une morale à tout épreuve qui finit immanquablement par localiser ses adversaires à gauche et non à droite (Pro-Européen avant tout).

Quant à Europe Écologie les Verts, le 1er mars, Yannick Jadot déclare au point « à la libre entreprise et à l’économie de marché » et affirme : « bien entendu, les écologistes sont pour le commerce, la libre-entreprise et l’innovation ». Bien entendu, il est « pro Européen », prêt à co-gérer avec le parti populaire européen, la droite quoi, le PSE, le parti socialiste européen. Bref, faire comme avant, poursuivre pesticide et OTAN, destruction des services publics et rejet des exilés.

Cette Europe-là, nous lui avons dit non en 2005, nous lui disons non encore aujourd’hui.

Nous disons non à l’Europe des traités néo-libéraux, non à l’économie sociale de marché, non à l’OTAN.

Ce qui nous différencie de tous ces auto-proclamés Européens convaincus, non pas la conviction européenne, mais les bons sentiments.

La France insoumise ne propose pas un catalogue de bons sentiments mais un programme.

Car s’il y a urgence climatique et urgence sociale est-il besoin d’en parler ? S’il y a urgence à agir, comment le faire concrètement ? Et surtout, que faire si les dirigeants de l’Europe qui nous protège décident, finalement et manière consensuelle, de ne pas nous protéger ? Et si un dirigeant européen qui, se souvenant des traités qui constituent le cadre juridique de l’Union européenne, traités qui en droit l’emportent sur nos législations, nous opposait tel article du traité ? Il nous dirait : « Bien sûr, Européen convaincu comme vous, je suis d’accord pour dire qu’il y a un problème mais ce n’est pas possible d’agir parce que le traité l’interdit ».

L’urgence climatique impose de lancer une grande politique d’investissement (éoliennes en mer, sortie du nucléaire, plus un camion sur les routes, etc.), une politique qu’il est impossible de mettre en place dans le cadre des traités européens.

Alors que faire ?

Ouvrir des négociations avec nos partenaires européens,

forts de notre succès électoral, forts des 18% du PIB européen que l’économie française représente, forts de notre contribution nette au budget européen.

Nous serons forts aussi de l’appui d’autres pays européens victimes tout autant que nous, sinon plus, de ces politiques austéritaires. Et si ce mandat est rejeté ? Nous avons une réponse européenne et responsable, c’est-à-dire une réponse à la hauteur de l’urgence climatique. Nous appliquerons notre politique, l’Avenir en commun, en France bien sûr, puisque tel sera le mandat reçu du peuple français, mais nous l’appliquerons avec toutes celles et tous ceux qui se reconnaîtront dans cette politique, en Europe et au-delà.

Une telle impulsion peut-elle partir des élections européennes ?

Qui peut nier qu’une victoire nette de la France insoumise le 26 mai 2019, au scrutin européen serait un coup de tonnerre en Europe ? Qui peut nier qu’une telle victoire poserait la question de la poursuite des politiques actuelles en France, directement inspirées par la Commission européenne ?

Mettons à bas l’ancien régime néolibéral, en France par notre vote insoumis, en Europe par les répliques de ce tremblement de terre électoral qu’un tel résultat produira dans les autres pays. Nous portons la paix, et non la guerre, l’harmonisation fiscale par le haut et non le dumping social, nous répondons maintenant et non demain à l’urgence climatique, nous croyons, non aux technocrates, à la Commission, au Conseil européen, mais aux peuples européens.

Parce que nous savons qu’avec notre victoire le 26 mai 2019, tout devient possible.

Mobilisons les électrices et les électeurs le 26 mai. Mobilisons et votons pour la liste présentée par la France Insoumise le 26 mai 2019.
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Source: Actualités La France insoumise

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