Jean-Louis Thiériot – Aurélien Pradié : « Quelle ligne politique pour la droite ? »

Les députés Jean-Louis Thiériot (Seine-et-Marne) et Aurélien Pradié (Lot) ont accepté de confronter leurs visions de la société, libérale pour le premier, plus sociale pour le second.
Quelle est la ligne économique que défend – ou devrait défendre – la droite ? À qui doit-elle s’adresser ?
Jean-Louis THIÉRIOT. – À tous ! La prospérité économique rejaillit sur chacun. Davantage de croissance, c’est davantage d’emplois, d’impôts et de charges collectées, donc plus d’argent pour les ménages. Seule l’entreprise et les salariés sont créateurs de richesse. Nous sommes la famille de la libre entreprise, pas par dogmatisme, mais parce que c’est là que se crée la richesse. Nous devons parler aussi aux déçus d’Emmanuel Macron, à ceux qui espéraient des réformes pro entreprises et une remise en ordre de la dépense publique. Le déficit est resté à 3 %, la dette a atteint 100 % du PIB avant le Covid. La France subit aujourd’hui la double peine. Elle a accepté de se confronter au marché mondial, sans avoir les moyens de le faire, c’est-à-dire sans avoir les atouts de compétitivité coût et hors coût qui la mettrait au même niveau que ses principaux compétiteurs européens. C’est pourquoi la lutte contre l’addiction à la dépense publique – hors crise – est la mère de toutes les batailles.
Aujourd’hui, ce sont les retraites et les allocations individuelles qui coûtent le plus cher. Face à l’allongement de la durée de la vie, on n’échappera pas à un alignement rapide sur nos voisins, à 65 ans, en tenant compte de la pénibilité. L’aide sociale devra être totalement revue en exigeant et en encourageant. Ces efforts devront être largement répercutés sur le salaire net des salariés pour qu’ils en perçoivent les fruits. Le travail doit payer réellement en France. C’était un des principaux messages des « gilets jaunes ».
Aurélien PRADIÉ. – Notre famille politique n’a réussi que lorsqu’elle a su s’adresser aux salariés, aux fonctionnaires, aux chefs d’entreprise, à tous, avec une ambition pour chacun. Choisir de n’être les défenseurs que des plus favorisés, c’est manquer à la grande histoire de la famille gaulliste. Si la droite n’est pas populaire, elle échoue. Rappelez-vous ce que disait Nicolas Sarkozy à Toulon, en 2008 : « L’économie de marché, ce n’est pas le capitalisme financier et ses dérives. L’économie de marché, c’est le marché régulé, mis au service de la société, au service de tous. » Je n’ai pas le souvenir que l’on ait pris Nicolas Sarkozy pour un communiste.
L’histoire profonde de la droite française, sa belle ambition, a toujours été de donner un sens à l’économie, pour permettre les conquêtes humaines et sociales. Aujourd’hui, je crois fondamentalement à un nouveau modèle de redistribution des richesses que nous devons produire. Nous pourrons à nouveau nous adresser aux Français si nous renouvelons notre projet. Après avoir essuyé un échec à l’élection présidentielle, aux législatives et aux européennes, nous avons deux solutions : considérer que notre ligne était la bonne, que nous aurions raison mais que le peuple aurait tort… Ou nous remettre courageusement en question. La « ligne », c’est souvent fait pour ceux qui n’ont plus le goût de l’aventure politique et sont dominés par l’idée de la petite rente électorale. Je préfère la conquête politique.
À vous écouter, on se dit que coexistent deux lignes au sein de LR : une ligne étatiste, sociale, et une libérale. Quelle est la thématique centrale, selon vous, à défendre ?
Jean-Louis THIÉRIOT. – La liberté, gage d’épanouissement individuel, d’émancipation de l’homme et de développement de l’énergie créatrice. Avec pour corollaire, la responsabilité. Pour s’épanouir, la liberté a besoin d’ordre : dans l’État, dans l’économie, dans les finances publiques, dans la société. Notre projet politique est un État qui régule autant que nécessaire, mais libère autant que possible. Le libéralisme est un attrape-tout. S’il s’agit de respecter les libertés politiques et économiques, c’est une magnifique vision du monde, un formidable outil de prospérité collective. Si c’est la mondialisation subie avec l’ouvrier français en concurrence avec l’enfant birman, alors il faut évidemment le réguler. L’heure est au libéralisme stratège. Notre famille de pensée, c’est la droite ordo-libérale, l’ordre et la liberté. Rien à voir avec l’ultralibéralisme anglo-saxon. Tout n’est pas dans le commerce. Le marché n’est pas sacré. Il y a des valeurs au-delà de l’offre et de la demande.
Aurélien PRADIÉ. – Dans toutes les familles politiques, il y a les tempéraments casaniers, inquiets des idées nouvelles, et les plus audacieux, soucieux d’ouvrir des voies nouvelles. Cette complémentarité fait que la droite française est vivante. On a souvent reproché à la droite de n’avoir plus d’idées. Acceptons volontiers d’entendre aujourd’hui que nous en avons trop. Ce qui nous rapproche, c’est l’essentiel : la volonté d’être juste, de permettre à chaque Français de mieux vivre demain. Ce qui nous rassemble, c’est la conviction que le politique doit retrouver la maîtrise du destin national, que l’effort et le travail sont sources d’émancipation. Ce qui nous rassemble enfin, c’est la volonté de donner du sens à notre projet économique. Le libéralisme économique a permis l’émancipation des individus. C’est une certitude. Mais depuis, sommes-nous encore à la hauteur de la promesse « libérale » ? Le rêve s’est peu à peu brisé, avec la montée de fondamentalismes, les dumpings, les délocalisations… Est-ce que notre modèle économique permet toujours l’émancipation ? Est-ce qu’il rémunère mieux le travail, produit des richesses solides et renforce la souveraineté de notre Nation ? Non. Alors oui, j’assume de dire que nous devons réinterroger ce modèle.
N’est-ce pas aussi le reflet de deux visions de la société ? Aurélien Pradié, vous êtes favorable au revenu universel pour les jeunes et proposez 300.000 « jobs pour la nation » pour les 18-25 ans. Jean-Louis Thiériot, est-ce une solution ?
Jean-Louis THIÉRIOT. – Le revenu universel stricto sensu est contraire à tout ce qui nous est cher. C’est soit une idée folle, venue de la gauche qui considère que le travail est aliénant, alors que nous considérons qu’il est libérateur, soit une idée ultralibérale qui, ayant fait son deuil de l’industrie et des cols-bleus, assigne les moins qualifiés à un assistanat perpétuel pour acheter la paix sociale et favoriser le déploiement d’une économie 3.0, totalement tertiarisée. En revanche, serait féconde une allocation sociale unique remplaçant toutes les aides existantes et sans jamais dépasser 75 % du smic. Outre les économies de gestion, elle permettrait de lutter efficacement contre les trappes à inactivité. Cela dit, la proposition d’Aurélien était strictement limitée dans les temps et liée à la crise Covid qui affecte durement la jeunesse. L’effet d’annonce l’a réduit à de nouveaux emplois-jeunes Aubry, ce qu’elle n’était pas. En effet, il faut toujours distinguer « service ordinaire » et « service extraordinaire » pour reprendre les mots du général de Gaulle.
Aurélien PRADIÉ. – La caricature est souvent l’arme de ceux qui n’ont pas la force de réfléchir. Avec Jean-Louis, nous réfléchissons ensemble sur ces sujets. En se respectant parce que nous savons l’un et l’autre que nos nuances sont le fruit sincère de convictions et jamais de postures opportunistes. Sur la question du revenu universel, je n’ai jamais utilisé ces termes. Précisément parce que ma pensée n’a rien à voir avec celle de Benoît Hamon. Qu’ai-je proposé ? De réfléchir à l’idée d’une ressource de base, qui concernerait les jeunes de 18 à 25 ans, qui serait conditionnée à deux mois d’engagement pour une association, une cause d’intérêt général, et qui s’effacerait dès que le jeune accéderait à un emploi. Cette ressource viendrait se substituer à la forêt des dispositifs d’aides sociales qui existent aujourd’hui et auxquelles personne ne comprend plus rien.
Vous avez le sentiment que c’est une idée de gauche ? Engagement pour son pays, ressource jamais supérieure au revenu du travail, formation et ménage bien nécessaire dans le catalogue pléthorique des aides en tous genres… C’est une approche conforme aux valeurs de la droite. Mais je voudrais aller plus au fond sur ce sujet. Le prochain défi de notre pays sera sa jeunesse. Une génération sacrifiée s’annonce et son abandon sera dramatique pour l’ensemble de la Nation. Nous devons nouer avec la jeunesse un pacte de confiance nouveau. Permettre à un jeune, en contrepartie d’un engagement, de disposer d’un filet de sécurité, c’est l’inciter à prendre des risques qu’il n’osera pas prendre s’il bascule dans la pauvreté. Une ressource vitale pour nos jeunes, comme je la défends, est en réalité une idée très libérale : elle peut libérer la jeunesse et la pousser à entreprendre. La peur s’est installée dans cette génération. Et la peur sera notre principale ennemie pour reconstruire.
Faut-il effacer, isoler la dette Covid comme le prônent certains élus LR ?
Jean-Louis THIÉRIOT. – C’est l’arbre qui cache la forêt. La dette Covid est assimilable à une dette de guerre. Ce qui m’inquiète, c’est moins le stock que le flux. Une fois sortie de crise, la priorité sera de rétablir l’équilibre et de voter une règle d’or. Avec un budget équilibré, il sera toujours possible de traiter techniquement la dette Covid avec une seule ligne rouge : le non-remboursement. Ce serait perdre toute crédibilité sur les marchés, alimenter le réacteur toujours menaçant de l’inflation et de la hausse des taux et faire croire à l’argent magique alors que c’est d’abord une charge pour les générations futures.
Aurélien PRADIÉ. – S’agissant de la dépense publique et de la dette, il faut être clair : le sujet essentiel n’est pas la manière dont nous allons gérer et amortir notamment la dette Covid. Avec l’action de la BCE notamment et des taux historiquement et durablement bas, cette gestion s’imposera d’elle-même, assez facilement d’ailleurs. Le vrai sujet, c’est la dépense publique initiale et l’investissement public nécessaire en sortie de crise. Je plaide pour que nous portions un vaste plan de reconstruction : de vastes chantiers publics d’aménagement des territoires, des programmes massifs de recherche médicale ou encore d’investissement dans l’alimentation de demain.
Faut-il conserver ou revenir sur les critères de Maastricht ?
Jean-Louis THIÉRIOT. – La crise les a rendus caducs. Mais ne nous leurrons pas, une fois passé l’épisode Covid, les frugaux n’accepteront pas de payer pour des réformes que nous n’aurons pas eu le courage de faire. La dette pour financer de l’investissement à long terme, bien sûr. Pour financer du fonctionnement, non. Ce qui importe, c’est la trajectoire. La France doit revenir en quelques années à l’équilibre annuel avec une dépense publique, dans la moyenne européenne autour de 48 % du PIB alors que nous sommes à 58 %. Pour cela, il n’y a pas d’autre moyen que la croissance et le sérieux budgétaire. À ce prix, nous serons crédibles et attractifs.
Aurélien PRADIÉ. – Nous sommes d’accords ! Il faut être aveugle ou lâche pour s’en tenir encore à ces critères devenus obsolètes. Reposons la question du rôle de l’État. Définissons quatre grands secteurs stratégiques : éducation, recherche et santé, alimentation et missions régaliennes. Investissons massivement dans ces secteurs. Devenons innovants sur ces secteurs et libérons-nous de ceux sur lesquels l’État est inutile et bloquant. Plus que de critères comptables, nous avons besoin de priorités politiques et souveraines.
Arnaud Montebourg est-il un partenaire de travail pour la droite ?
Jean-Louis THIÉRIOT. – Arnaud Montebourg défend le produire en France. Très bien. Mais il appartient à la mouvance socialiste, qui a ruiné la France une première fois en 1981 avec la réforme des retraites, une seconde dans les années 2000 avec les 35 heures. Inutile de régler les problèmes avec ceux qui les ont créés.
Aurélien PRADIÉ. – Je crois aux clivages politiques et à leurs bénéfices pour le débat démocratique. Une idée de droite n’est pas meilleure quand elle se cherche une caution superficielle dans les rangs de la gauche. En matière de boussole politique, je suis assez conservateur…
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Source: Actualités LR

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