Article rédigé par le groupe thématique « Emploi » de La France insoumise. Vous aussi, rejoignez un groupe thématique.

La crise sanitaire s’est rapidement traduite en une crise économique, via la cessation d’une partie conséquente de la production nationale et la raréfaction des recrutements salariés. Ce processus rappelle que les activités collectives ou les interactions de face-à-face demeurent les piliers du système productif et des maillons essentiels des chaînes de valeur : sans actionnaires, le monde tourne ; sans caissière ou aides-soignante, il s’effondre.

Mais il nous permet aussi de penser la fragilité de l’emploi dans un moment de crise. Tous les secteurs ne sont pas touchés à l’identique et tou·tes les salarié·es n’y perdent pas autant. Par ailleurs, les dispositifs mis en œuvre, comme le chômage partiel, occasionnent néanmoins des pertes financières lourdes pour des millions de personnes. Voici un premier état des lieux de la récession qui vient et des zones de faiblesse. Cela nous permet de tirer quelques leçons : l’accès à l’emploi est une question collective et non individuelle ; la formation est un enjeu public piloté par l’intérêt général et non un enjeu privé piloté par les profits ; les pertes financières pour les salarié·es, à compenser par de futures hausses de salaire ou primes exceptionnelles, seront concentrées dans certains secteurs.

Fermeture (et ouverture ?) d’opportunités professionnelles

La transposition économique de la crise sanitaire peut être saisie en analysant les offres d’emploi à Pôle emploi1. Depuis mi-mars, leur nombre a fondu de près d’un tiers (passant de 700 000 mi-mars à 470 000 le 13 avril). Les opportunités d’embauche se restreignent, le nombre d’inscrit·es s’accroît et l’accès à un emploi devient d’autant plus concurrentiel. En bref, les chômeur·ses sont plus nombreux·ses et ont un risque de le rester plus longtemps.

Cette logique est toutefois inégalement distribuée entre secteurs d’activité. Par rapport au 1er trimestre 2019, la proportion d’emplois dans le spectacle est divisée par trois, celle dans l’hôtellerie-restauration ou l’agriculture/espaces naturels par deux. Les individus formés à ces métiers, qui y entretiennent leurs contacts professionnels ou s’y dirigent depuis quelques temps se heurtent à une pénurie brutale. A l’inverse, certains secteurs prennent une ampleur accrue, ce qui limite le degré de concurrence entre postulant·es. Le domaine de la santé ou le support aux entreprises opèrent une percée fulgurante. C’est ce que montre une représentation en radar.

Radar des offres publiées par Pôle emploi

Lecture : la proportion d’offres d’emploi dans le secteur de l’hôtellerie-restauration s’élevait à 8% au 1er trimestre 2018, 8,5% au 1er trimestre 2019, avant de chuter sous les 5% en avril 2020. Inversement, les emplois dans la santé représentaient 4,5% des débouchés en 2018 et 2019, contre 8% aujourd’hui. Données Pôle emploi.

Au-delà d’une description des inégalités sectorielles, ces données soulignent à quel point la recherche d’emploi échappe aux pratiques individuelles de chaque individu, et dépend bien plutôt de la conjoncture. Quelle que soit la volonté des salarié·es expert·es en hôtellerie et en restauration, peu de choses leur sont aujourd’hui accessibles. La chasse aux chômeur·ses ne sert à rien – le gouvernement lui-même l’a acté en repoussant sa réforme. Il compte cependant la rétablir au lendemain de l’épidémie : les chômeur·ses formé·es ou expérimenté·es dans les secteurs entrés en récession en paieront le prix.

Cela constituera, en outre, une invitation au patronat à créer des emplois précaires et mal payés, puisque des millions d’individus se retrouveront incapables de refuser, faute d’argent d’une part (la perte de revenus dans la crise s’ajoute au nouveau calcul des droit et à l’exclusion de l’assurance-chômage de toute personne qui cotise moins de 6 mois), contraints par les nouveaux devoirs qui leur sont faits d’autre part (obligation d’accepter un emploi moins bien payé que le précédent). Le gouvernement entend sortir de la crise sanitaire en dégradant les emplois et le futur de millions de salariés.

Ces résultats portent sur une période très récente, d’une durée limitée. Il sera nécessaire d’en suivre l’évolution, pour observer soit le rétablissement du marché dans l’emploi dans ses structures antérieures, soit un maintien du nouvel équilibre, qui fait une place importante aux secteurs de la santé et aux activités bancaires, financières et immobilières dans les recrutements.

Quoiqu’il en soit, la crise balaie les discours libéraux sur l’adéquation entre formation et emploi : la formation d’aujourd’hui n’est pas forcément le débouché de demain, les entreprises privées sont incapables de planifier à long terme, et les savoirs qui étaient peu valorisés hier s’avèrent cruciaux aujourd’hui, à l’instar des compétences dans la couture et le textile – liquidées par l’appareil productif français dans les années 1980-1990. En bref, la formation est une question de besoins sociaux, pas une question de rentabilité hypothétique.

Déflation salariale en vue

Face à ce recul de l’activité, le dispositif de chômage partiel ou technique (« l’allocation partielle ») a été rapidement modifié par le gouvernement. Cet instrument consiste à maintenir des salariés en emploi, lorsque l’entreprise cesse provisoirement de produire, pour une raison conjoncturelle justifiée auprès des autorités. Le Covid-19 a été reconnu comme critère d’éligibilité, avant que ne soit modifiée l’allocation elle-même : elle est désormais proportionnelle à la rémunération des salarié·es, à 84 % du salaire net (avec un montant minimum de 8,03€ et un plafond de 36€ par heure). L’entreprise verse la rémunération puis obtient un remboursement par l’État. Pour un·e salarié·e payé·e 2000€ net par mois, cette diminution de 16% représente une chute à 1680€. Le chômage partiel signifie ainsi une coupe sensible dans les revenus mensuels. Pour les travailleur·ses d’ores et déjà rémunéré·es sous le SMIC (contrat de professionnalisation, apprentissage, mineur·es avec moins de 6 mois d’expérience…), l’indemnisation de chômage partiel est fixée au niveau de leur revenu antérieur. Certain·es doivent donc survivre avec quelques centaines d’euros par mois.

Qui est concerné·e par cette amputation moyenne de 16% du salaire net ? Aujourd’hui, plus de 8 millions de salarié·es. La publication de données par la DARES depuis début avril permet d’analyser en détail la progression de l’activité partielle.

Chômage partiel par secteur et par semaines du mois d’avril

Lecture : dans les activités scientifiques, techniques, administratives et de soutien, 650 000 salarié·es étaient en chômage partiel la 1ère semaine d’avril, puis 1 200 000 la 2ème semaine, soit 35 % des salarié·es du secteur. Données DARES (pour le chômage partiel) et INSEE (pour le nombre d’actif·ves par secteur, nomenclature A17).

La pandémie virale entraîne donc des coupes salariales qui dépendent du secteur. Certains secteurs ont été touchés par la réduction salariale dès la première semaine d’avril, tandis que d’autres ont surtout connu une explosion la seconde semaine ou la troisième. Dans les huit premiers jours, l’hôtellerie-restauration, la construction ou la fabrication de matériel de transport étaient déjà à l’arrêt, avec plus de la moitié des salarié·es passés en chômage partiel – et privé·es d’une partie de leur salaire. Après, la cokéfaction, le raffinage, l’industrie extractive, l’eau et l’énergie, l’information et la communication sont entrés progressivement en chômage partiel, doublant le nombre de salarié·es concerné·es entre la première et la seconde semaine du mois. Finalement, le commerce ou les activités scientifiques et techniques ont attendu la troisième semaine du mois pour placer les salarié·es en chômage partiel. Ces trois étapes nous indiquent dans quel secteur les pertes financières cumulées seront les plus dures : hôtellerie-restauration, construction, fabrication de matériel de transport, activités scientifiques et techniques.

Une question largement ouverte demeure celle des effets d’un chômage partiel de masse sur les rapports de pouvoir au sein des entreprises. Des travaux ont montré que les dispositifs de chômage partiel adoptés en 2012-2013 ont bouleversé les rapports entre direction et syndicats, d’une part, ainsi qu’entre salarié·es et syndicats, d’autre part. De plus, certains employeurs utilisaient le dispositif pour réorganiser la production et l’organisation du travail, contournant des oppositions affaiblies par l’assignation à domicile. Si les logiques demeurent semblables en 2020, les rapports de force seront profondément bousculés pour les années à venir.

1 Pôle emploi collecte un tiers des offres qu’il propose aux individus (chômeur·ses, ou tout internaute qui se connecte à son interface), mais en vertu d’une politique de « transparence » du marché, le reste est constitué d’offres automatiquement absorbées depuis 134 intermédiaires privés associés à lui (agrégateurs d’offres, bourse aux emplois, réseaux sociaux professionnels, job boards…). Au total, près de 8 millions d’offres sont diffusées par l’opérateur chaque année, ce qui donne un bon aperçu du marché. Pour plus d’informations, voir ce document.

Pendant ces jours de confinement les groupes thématiques de la France insoumise ont décidé d’apporter leur contribution à travers des réflexions sur la situation actuelle. Chaque jour, un ou plusieurs articles d’analyses seront produits par un des groupes thématiques. Retrouvez ces productions sur la page de l’espace programme.
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Source: Actualités La France insoumise

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